Dans ma famille, Noël n’était pas la fête de Jésus. C’était la nôtre. Il y avait bien sûr une attention méticuleuse portée à toute la symbolique entourant ce grand jour : le sapin, la messe de minuit composée de trois messes, en fait, la messe des Anges, des Bergers et (enfin !) du Verbe divin — je m’en souviens comme si c’était hier, mon père était organiste à cette occasion —, la tourtière et la remise de cadeaux. Indépendamment de l’âge que nous avions, nous savions faire la bonne génuflexion, partout où elle était requise.
Mais l’esprit de réjouissance avait très peu à voir avec le divin enfant et tout à voir avec notre propre béatitude. Noël était le seul temps de l’année où tout le monde dans la famille s’aimait. Il y avait un calme, une sérénité, une chaleur qui, dans mon souvenir en tout cas, étaient uniques à ce moment précis de l’année. Soudainement tricotés serrés, on se retrouvait comme dans une bulle, conscients de partager le même sang, les mêmes peines, le même désir d’être heureux.
Noël a ce pouvoir-là. En 1914, des soldats allemands sont sortis de leurs tranchées le 25 décembre pour serrer la main de leurs ennemis, en chantant des cantiques de Noël. Comme si, pour une seule journée de l’année, nous étions ici sur Terre comme des astronautes dans l’espace. Capables de nous voir de haut, de surplomber notre condition de fourmis, d’oublier les mesquineries et les rivalités pour nous sentir intrinsèquement connectés les uns aux autres, pour nous sentir habiter une autre dimension.
Admettez que ce « bref instant de splendeur », pour emprunter à un titre de roman très prisé à l’heure actuelle*, fait du bien. Nous avons passé près de deux ans maintenant à vouloir égorger l’effronté qui s’est faufilé dans la queue à laquelle la pandémie nous a habitués, sans parler de la dame qui vous crie des injures parce que votre masque a glissé d’un demi-centimètre sous votre nez — votre nez qui, en plus, coule parce que vous arrivez de dehors et qu’il fait froid et que de vous moucher risque d’alerter la direction de l’établissement et, que sais-je, les pompiers ?
Deux ans à ne pas savoir sur quel pied danser. À vous faire dire que, vu votre âge, vous feriez mieux de rester chez vous. Deux ans à s’habituer à des choses auxquelles vous ne pensiez jamais pouvoir vous habituer : acheter des vêtements en ligne, assister à des funérailles en ligne, enseigner en ligne en ne sachant absolument pas qui vous écoute ou si même on vous écoute. C’est dur et ce n’est pas parce qu’elle s’installe, cette fichue pandémie, que cela cesse de l’être. Tout le contraire.
On aurait bien besoin de Noël en ce moment. Qu’est-ce qu’on a pu chiquer la guenilledepuis deux ans ! La pandémie, croyait-on, allait nous forcer à voir plus loin, plus grand, à être plus écologiques, à nous solidariser à l’échelle planétaire. Vous voulez rire ? À en juger par l’humeur des gens faisant la queue pour la nouvelle manne sanitaire, les autotests rapides, les anges dans nos campagnes n’étaient pas tellement au rendez-vous, lundi matin.
— Le gouvernement aurait dû prévoir ça bien avant, maudit.
— Pourquoi on ne nous a pas offert une troisième dose il y a trois semaines ?
— Ça me fait rien de geler si je vais obtenir ma trousse, mais pas question que je me gèle les fesses pour rien du tout !
Plus fourmi que ça, tu meurs pulvérisé sous la botte d’un soldat canadien venu prêter main-forte à « l‘effort de guerre ».
Quoi qu’il en soit, il ne faudrait pas se décourager, dit le ministre de la Santé, Christian Dubé. Sans doute croit-il en son devoir de maintenir le moral des troupes sans comprendre qu’à force de nous encourager à mettre un petit pied devant l’autre, à force de miser sur l’immédiat qui risque par ailleurs d’être contredit demain, on finit tous condamnés à jouer les gérants d’estrade. Et à mourir d’ennui. À quand les propositions pour nous aider à relever un tantinet la tête et à voir un peu plus loin ? La réforme des CHSLD, ça s’en vient ? Oh, les soins à domicile ! Un investissement massif dans les arts et la culture, peut-être ? Et la réduction des gaz à effet de serre bordel ? La réforme du mode de scrutin, on le sait, on ne peut même plus en parler.
En ces derniers jours de 2021, on vit dans une ambiance de sous-sol d’église. Les chaises sont dures, les nappes, en plastique, et on ne sait pas quel temps il fait dehors. Alors, vivement Noël.
Vite, décollons-nous la langue de la rampe gelée de la politique à la petite semaine et posons-nous la question fondamentale de ce temps béni des dieux : qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ?
Joyeux Noël et bonne année (quand même). Cette chronique sera de retour le 12 janvier.
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