mercredi 17 novembre 2021

Nous avons marché sur la lune

 On est cuits. Les résultats de ce qu’on qualifie de « FLOP26 » ne laissent pas beaucoup de place à l’optimisme. Compromis et demi-mesures ont marqué le dernier grand rendez-vous international sur le climat, sans parler des larmes de l’homme qui présidait les pourparlers, Alok Sharma. Petit signe que ça va mal. Même dans l’hypothèse la plus optimiste où tous les pays signataires respecteraient leurs engagements de réduction de CO2, dit le quotidien Libération, « le plafond de +1,5 °C serait toujours dépassé, et de très loin ».

L’avenir de l’humanité ainsi assombri, il est difficile de ne pas désespérer du monde dans lequel on vit. J’étais moi-même à ras de terre, au degré zéro de l’émerveillement, au moment de visiter L’infini, une exposition de l’espace en réalité virtuelle, le 7 novembre dernier. J’arrivais de justesse, la toute dernière journée de la présentation après que 70 000 autres visiteurs furent passés avant moi, sans trop savoir à quoi m’attendre, redoutant un peu les casques et les patentes à gosses, passages obligés des expériences virtuelles.

Mais la lumière fut. Les mots me manquent pour décrire cette aventure qui se situe à mi-chemin entre la très très haute technologie, tournée d’ailleurs avec la collaboration d’astronautes à bord de la Station spatiale internationale (SSI), l’art contemporain et la poésie. Pour citer la petite voix (celle de la comédienne et dramaturge Évelyne de la Chenelière) qui nous met la puce à l’oreille avant de passer de l’autre côté du miroir, de basculer dans l’immensité de l’Univers : « Cette expérience est un hommage à la lumière et à l’espace et à la soif de connaissance qui anime les êtres humains. Bienvenue dans l’infini. »

Produite par Felix & Paul Studios et le Centre Phi, à Montréal, en collaboration avec Time Studios aux États-Unis, cette expérience « immersive » est l’antidote tout indiqué aux horizons bouchés de ce début de siècle. Grâce aux caméras 3D de Felix et Paul placées à bord du célèbre SSI, un engin à faire pâlir Denis Villeneuve lui-même, on voit loin et, mon Dieu, on voit grand. Comme le disent des astronautes interviewés lors du tournage, soudainement, « vous vous dépouillez de tout ce qui a été inventé par les humains », « vous envoyez la main pour la dernière fois », « et vous souriez ». Car, soudainement, vous êtes propulsés dans les constellations du firmament, dans l’extase de l’infiniment grand.

Le prétexte de cette exposition est d’offrir une visite de la Station spatiale internationale au grand public. « En 20 ans d’existence, moins de 250 humains ont visité la SSI », écrit le chef de création du projet, Félix Lajeunesse. Il était temps d’ouvrir « l’expérience d’une vie » au commun des mortels. Mais, à mon avis, le véritable intérêt n’est pas de scruter les passages de l’engin titanesque sur lequel miraculeusement vous vous retrouvez, de voir et d’entendre, à quelques centimètres de vous, les astronautes qui y travaillent. L’intérêt suprême de cette époustouflante aventure, c’est de quitter justement tout ce qui est humain, c’est de ne plus voir ni sentir son corps comme avant, le port du casque vous transformant instantanément en un avatar, une espèce de créature de rêve au contour brillant et au cœur d’or qui glisse élégamment dans l’éther. Comme les 90 autres heureux élus qui sont entrés avec vous, vous ne portez plus tout à fait à terre, vous n’êtes plus en chair et en os, vous êtes une paire d’yeux exorbités, capables de voir à 360 degrés, et un cœur qui bat.

Durant 35 minutes, on meurt un peu soi-même pour être réincarné dans une autre dimension. Celle des éléments. Au moment de sortir de l’engin spatial, c’est l’apothéose. Happés par les étoiles, le Soleil, les faisceaux de lumière, tous très loin et très proche en même temps, c’est terrifiant et fabuleux à la fois. On sent son insignifiance, mais aussi sa connexion à l’Univers comme jamais auparavant. Comme, plus tard, à celle de la Terre quand, pour conclure l’aventure, on fait le tour de la planète, du lever au coucher du soleil, comme l’expérimentent les astronautes eux-mêmes plusieurs fois par jour, mais de façon plus rapide cette fois.

Un peu comme si on montrait de vieilles photos de famille mais en projection IMAX, on sent la nostalgie et l’affection qui vient d’un vieux sentiment d’appartenance. On reconnaît des endroits d’ailleurs : l’Himalaya, le Sahara, les océans… Ma filleule Jeanne, elle, est sûre d’avoir vu le lac Saint-Jean. C’est d’une beauté incommensurable et, comme pour sa famille, on a envie de la protéger. Bien des astronautes le disent : il n’y a rien comme un voyage dans l’espace pour vous rappeler la fragilité de la vie sur Terre.

« Nous avons marché sur la Lune et flotté dans l’espace », dit le texte d’introduction à l’exposition L’infini. Mais nous avons toujours bien des choses à comprendre, et peut-être surtout à faire, si on est pour préserver « la beauté, le mystère et la richesse de notre existence ». S’il y a des jours où il est difficile de croire que la beauté l’emportera sur la productivité, dans ce long combat pour la survie de la planète, il y en a d’autres où l’espoir est permis, où la confiance en l’humanité l’emporte, où on ose croire que nous relèverons brillamment le défi de notre destin planétaire.

L’appel des étoiles aidant.

fpelletier@ledevoir.com

Sur Twitter :@fpelletier1

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