On répète depuis 30 ans qu’il est « minuit moins cinq » à l’horloge environnementale. À juger du dernier rapport du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), minuit a sonné. On a trop attendu. Non seulement certains changements climatiques sont-ils désormais irréversibles (la fonte des glaciers, l’augmentation du niveau de la mer, la disparition de terres arables…), mais les 20 ou 30 prochaines années seront, c’est officiel, encore plus suffocantes.
Même si nous décidions dès aujourd’hui de réduire d’au moins 30 % les émissions de gaz à effet de serre sous les niveaux de 2005, comme on s’y était engagé il y a six ans, il est trop tard pour se sauver des feux de forêt, des inondations, des canicules meurtrières, de toutes ces catastrophes désormais familières. Du moins, dans l’avenir prévisible, celui notamment de nos enfants. D’ici 2050, la température augmentera d’au moins 1,5 degré supplémentaire par rapport à l’ère préindustrielle, indépendamment d’un regain de conscience de notre part, ou pas.
Quoi de neuf, me direz-vous. Le rapport, signé par 195 pays et basé sur 14 000 études, reprend des choses souvent entendues, c’est vrai. Mais, en rappelant l’urgence imminente qui nous guette, le GIEC souligne par la bande le flegmatisme inqualifiable de nos gouvernements depuis 20 ans. Rappelons que les 10 grands responsables du réchauffement climatique sont la Chine, les États-Unis, l’Union européenne, l’Inde, la Russie, le Japon, l’Indonésie, l’Iran et, au cas où vous l’ignoriez, le Canada. Or, dans le contexte pandémique actuel, l’inaction gouvernementale saute littéralement à la gorge. Si l’on compare tout ce qui a été fait pour contrer le coronavirus au petit peu qui a été mis en place pour contrer les changements climatiques, c’est le jour et la nuit.
Comment expliquer qu’avec beaucoup moins à perdre du point de vue de la santé publique, ainsi qu’avec beaucoup moins de données scientifiques irréfutables sous la main, la lutte contre la COVID-19 a été menée tambour battant, à la guerre comme à la guerre, à coups de conférences de presse et de mesures contraignantes — parfois hautement discutables, dont le récent passeport vaccinal —, alors que la lutte contre les changements climatiques, depuis 50 ans qu’on en parle et les cataclysmes qu’on égraine comme un chapelet, traîne toujours de la patte ?
Deux explications possibles. Le souci de l’immédiateté, d’abord. Même si les feux en Colombie-Britannique, les inondations en Allemagne ou la canicule en Grèce ne sont pas si éloignés de nous, les dérèglements environnementaux ont un air souvent lointain. Il y a toujours moyen de ne pas se sentir directement concerné par ce qui arrive. Tout ça demeure un peu théorique — le discours scientifique contribuant à cette opacité. Alors que le coronavirus nous est tombé dessus comme une armée de Wisigoths, une invasion soudaine, massive et d’autant plus menaçante qu’elle était largement inconnue. Les informations nous venaient cette fois directement de la bouche de politiciens visiblement ébranlés, dépassés même, tentant de mobiliser chacun d’entre nous dans un effort collectif. C’était, disait-on, « une question de vie et de mort ». La nôtre, pour une fois. Il y avait péril en la demeure et personne ne pouvait y être indifférent.
C’est seulement plus tard qu’on a compris — au moment où l’on commençait à compter les morts par centaines dans les CHSLD — que, malgré le souci évident de sauver des vies, le souci de préserver le système hospitalier avait compté finalement davantage. Protéger le système, le maillon dur, au détriment parfois des maillons faibles a été une constante durant cette pandémie. On le voit d’ailleurs à nouveau avec l’imposition du passeport vaccinal. Cette mesure n’est pas là d’abord pour sauver des vies, elle est là pour faire rouler l’économie, pour s’assurer que les entreprises commerciales puissent fonctionner normalement. On est d’accord, bien sûr, mais encore faut-il voir quelles sont les conséquences d’une telle mesure pour les plus vulnérables, pour l’intrusion dans la vie privée et la vie démocratique en général. Ce n’est pas par hasard si les chambres de commerce se sont empressées d’applaudir la nouvelle mesure, alors que les associations de défense des droits et libertés ont toutes émis des réserves.
Protéger l’économie, la vie normale, le statu quo se retrouve également au cœur de la lutte pour sauver la planète, mais voilà qu’il s’agit d’un obstacle cette fois. La préservation du mode de vie qu’on aime — basé depuis la révolution industrielle sur l’utilisation massive d’énergies non renouvelables — est la raison principale derrière l’inaction gouvernementale face aux changements climatiques. Alors que le même réflexe nous pousse à l’action dans le cas de la COVID, il nous paralyse dans le cas de l’environnement.
Lors de cette pandémie, nous nous sommes montrés disposés à tous les sacrifices : l’isolement, la perte d’emplois et d’activités, la disparition d’êtres chers sans la possibilité de leur dire adieu… On a montré qu’on est capables de changer bien des choses, d’endurer. Le temps serait-il venu d’en faire autant pour l’environnement ? Le temps presse.
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