Comme la fille dans la chanson bien connue de Richard Desjardins, j’ai eu envie de crier « enfin des bons gars » à la sortie du très beau film de Sophie Dupuis, Souterrain. Le long métrage met en scène des mineurs de Val-d’Or, ainsi que la mine, bien sûr, ses catacombes glauques, sa machinerie infernale, ses horaires sans bon sens et, surplombant cet univers sombre pour mourir, une petite lumière au bout du tunnel, la vie de famille des trois personnages principaux. C’est ce qu’on pourrait appeler un « film de gars », mais raconté par une jeune femme, abitibienne et fille de mineure de surcroît, ce qui fait ici toute la différence. Le film est magnifiquement dur et tendre à la fois, sans héros ni complaisance tout en rendant hommage aux hommes (et à quelques femmes) qui travaillent jour après jour dans ce milieu sépulcral.
Ce portrait d’hommes ordinaires, bourrés de défauts, mais aussi de qualités, arrive comme une bouffée d’air frais dans le monde étouffant de la « masculinité toxique » qui sévit aujourd’hui. Tenez, au cours des dernières semaines seulement, il a été question d’abus sexuels, physiques et psychologiques de la part de prêtres catholiques envers des milliers d’enfants autochtones, également envers des centaines de jeunes Québécois, d’un 13e féminicide, de vidéos de viol distribués illicitement par Pornhub, de harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes, de violences policières, de Pablo Picasso, dont les « crimes sexuels » font ombrage à l’exposition en cours au Musée national des beaux-arts du Québec, sans parler de la tuerie d’une famille musulmane à London en Ontario, un autre acte de terrorisme commis par un jeune fou furieux.
On a l’impression de croupir sous une avalanche de violences masculines actuellement. Après des décennies et même des siècles à passer l’éponge, il est évidemment important de procéder à l’inventaire. Mais cette comptabilité lugubre n’est pas sans laisser un certain malaise. Autant les faits paraissent incontestables, autant on sait bien que la condition masculine ne se résume pas qu’à ça. Nous en connaissons tous, après tout, des « bons gars » — ce qui veut dire, je pense, tant pour Richard Desjardins qui les a immortalisés que pour Sophie Dupuis qui en fait la dernière phrase de son film, des hommes de cœur, à défaut souvent de mots. Des hommes droits, malgré les vicissitudes de la vie, qui déconnent, oui, mais qui sont capables de l’admettre. Des hommes — du moins, dans le film — qui s’inscrivent toujours dans le vieux modèle du pourvoyeur, mais qui ne se limitent pas qu’à ça. Des hommes capables, en d’autres mots, d’aimer.
Le sondage Léger réalisé du 4 au 16 mai pour souligner la semaine de la paternité parle justement de ces hommes-là. Plus qu’ailleurs au pays, les pères québécois « se considèrent d’abord et avant tout comme des modèles (48 %) et comme un parent qui donne soins et affection (45 %) ». Soins et affection ? On est loin ici du père absent, bourru à souhait, qui, une fois rentré du travail, ne s’exprime que pour corriger femme et enfants. Bien qu’on soupçonne chez les sondés une tendance à embellir la réalité — 71 % des pères québécois partageraient « équitablement » les soins aux enfants (vraiment ?) —, il est indéniable que de grands progrès, particulièrement chez les hommes plus jeunes, ont été accomplis.
Les congés de paternité — deux fois plus fréquents au Québec qu’ailleurs au Canada — sont en partie responsables de ce changement de mentalité. « Rester à la maison avec ses enfants change la façon dont les pères conçoivent leur rôle », selon la sociologue Valérie Harvey, interviewée cette semaine à l’émission Tout un matin. Ce genre de politiques familiales n’auraient pas lieu, bien sûr, si les femmes n’avaient pas réclamé l’égalité des chances, en commençant par une meilleure répartition des tâches familiales.
Bien que campé dans un monde plus traditionnel, le film de Sophie Dupuis montre également que l’aptitude de s’occuper des autres n’est pas le strict monopole d’un sexe ou d’un milieu.
Le film donne dans la nuance : on voit des hommes capables d’être affectueux l’un envers l’autre (la scène de la douche est mémorable à cet effet) et des femmes capables de nerfs d’acier. C’est d’autant plus bienvenu qu’on a eu tendance, en réaction à la montée du féminisme, justement, à dépeindre les hommes en losers depuis quelque temps. On se souviendra de certaines publicités notoires à cet effet, sans parler des derniers films de Denys Arcand. Un peu comme si on nous disait : « Vous ne voulez plus du vieux stéréotype de l’homme fort et courageux, l’homme de marbre ? Voici alors ce que vous méritez : des abrutis et des lavettes. »
La réalité, heureusement, est plus complexe. Des hommes capables de prendre leurs responsabilités tout en étant vulnérables et humains, ça existe. Des femmes fortes, capables d’aimer ces hommes-là, aussi. Merci à Sophie Dupuis (et à Richard Desjardins) de nous le rappeler.
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