Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond au royaume de la petite enfance. La photo de « Leïla, bébé sourire », publiée dans un journal de Sainte-Agathe-des-Monts afin de promouvoir sa candidature pour entrer en CPE, sans parler des éducatrices à bout de souffle et de parents en colère, le confirme. Le réseau de garderie manque cruellement de places — 51 000 précisément — et tous les moyens sont bons pour y remédier.
Talonné sur la question, le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, a finalement annoncé, lundi, l’ouverture de locaux temporaires. On espère créer 22 000 places en attendant des installations permanentes. Un pas dans la bonne direction, mais encore trop peu, comme l’ont signalé plusieurs parents et éducatrices. Les lacunes ne résident pas seulement dans l’aspect « temporaire » de la solution proposée, ni dans le fait qu’il manque toujours 29 000 places à l’appel. Le problème est qu’on a tendance à n’y voir que du béton, qu’un simple problème d’infrastructure, alors que le problème est bien davantage celui de l’investissement humain. Un problème, par définition, plus profond.
Au Québec, on a commencé à parler de garderies dans les années 1970, dans la foulée du mouvement féministe qui réclamait l’intégration des femmes au marché du travail. La question des garderies n’est donc pas strictement celle de la petite enfance, c’est-à-dire de la meilleure façon de stimuler l’éveil et l’apprentissage chez les tout-petits. C’est d’abord une question de libération des femmes. Si, quelques décennies plus tard, le Québec prenait les devants en implantant un réseau universel de garderie, ce qui épate encore aujourd’hui, c’est bien parce qu’en 1997 le gouvernement péquiste avait une femme ministre, Pauline Marois, qui savait mieux que quiconque ce que voulait dire « conciliation famille-travail » ayant élevé quatre enfants tout en menant une impressionnante carrière politique. La création des garderies à 5 $, comme on les appelait alors, de pair avec la loi 101 et le financement des partis politiques, constitue, à mon avis, le legs le plus substantiel, le plus progressif, des 40 dernières années.
Il a fallu une pandémie, encore une fois, pour exposer le ventre mou de ce qu’on croyait solide et bien ancré : l’ascension des femmes sur le marché du travail. Du jour au lendemain, des milliers de femmes ont dû réintégrer leur rôle de reines du foyer. L’année dernière seulement, 120 200 femmes ont perdu leur emploi au Québec, deux fois plus que des hommes. Beaucoup d’autres ont choisi de volontairement abandonner leur travail pour veilleur sur leurs enfants privés de garderie ou d’école. Aux États-Unis, un tiers de femmes ayant des enfants d’âge scolaire, 10 millions en tout, étaient au début de l’année sans emploi, un « effet dévastateur » sur le marché du travail et les femmes en particulier.
La morale de l’histoire ? La liberté des femmes est directement proportionnelle à leur capacité d’obtenir de l’aide pour s’occuper des enfants — ce qui n’est toujours pas le cas de la majorité des hommes aujourd’hui. L’égalité hommes-femmes, une des grandes « valeurs » québécoises, dit-on, n’a donc aucun sens sans donner aux femmes la possibilité de compétitionner sur le marché du travail à armes égales. Malheureusement, on est encore loin de la coupe aux lèvres. Non seulement le réseau universel de garderie bat de l’aile — on promet beaucoup, on livre peu, depuis 20 ans —, mais la lumière crue de la pandémie souligne également la dévalorisation des métiers majoritairement détenus par les femmes.
Tout ce qui jadis était considéré du domaine de la ménagère, les soins et la garde des enfants, des vieux, des malades, ainsi que l’entretien de la maison, ce qu’aujourd’hui on appelle le domaine du « care », était considéré comme indigne d’un homme, les économistes refusant de calculer la valeur de tels gestes (pourtant « essentiels ») dans le maintien du PIB. Ce que les femmes accomplissaient par amour ou par devoir était de l’ordre du soleil qui se lève le matin : un acte « naturel », beau et gratuit. Point à la ligne. Heureusement, Karl Marx et bon nombre d’économistes féministes sont venus démentir cette lubie patriarcale, mais non sans qu’il y reste quelque chose.
On le voit aujourd’hui dans la façon dont on traite les infirmières, les préposées aux bénéficiaires et bien sûr les éducatrices. Elles ont beau être perçues comme de nouvelles héroïnes aux yeux du public et régulièrement applaudies par le premier ministre lui-même, leurs conditions de travail ne s’améliorent pas pour autant. « La charge est tellement difficile, dit une éducatrice en CPE, que tout le monde s’en va ». Ces professions sont doublement dévalorisées du fait d’être majoritairement exercées par des femmes et d’appartenir aux types de travail qu’il n’y a pas si longtemps les femmes accomplissaient « par amour ». Or, encore aujourd’hui, on s’attend à ce que les femmes puisent dans leur dévouement pour compenser un salaire déficient.
C’est cette attitude, avant même de nouvelles installations en garderie, qu’il faut revoir et corriger.
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