Audacieux, le projet de loi 96 ? Pour ce qui est de fouiller dans la Constitution canadienne pour y inscrire la spécificité québécoise sans demander la permission à personne, oui, certainement. Mais au-delà de ce pied de nez ? Au-delà du symbole ? Ce qui se voulait un deuxième coup de circuit pour le gouvernement Legault ne mérite probablement pas les cris de joie ni même les remontrances que lui vaut à ce jour la loi 21 (Loi sur la laïcité de l’État). Mis à part la francisation des petites entreprises, qu’est-ce que la nouvelle loi linguistique change, au fond ?
Le gouvernement a commis une erreur en voulant se mesurer à la loi 101. Si la politique linguistique de Camille Laurin était, elle, franchement audacieuse, ce n’est pas tellement à cause de la francisation des rues, des commerces ou des institutions gouvernementales. La loi 22 avait déjà tracé des sillons à cet égard. C’est l’obligation pour les immigrants de s’éduquer en français qui constituait à l’époque le coup de maître. C’est cet aspect de la loi 101 qui était radicalement nouveau.
On oublie que le « transfert linguistique » — qui obsède, à juste titre, le ministre Jolin-Barrette aujourd’hui — était, jusqu’à la fin des années 1970, au ras des pâquerettes pour ce qui est de l’intégration francophone des immigrants. Si on trouve le transfert actuel de 53 % encore trop faible, rappelons qu’il frôlait le néant il y a 40 ans. On recevait alors très peu d’immigrants francophones, l’anglais bien sûr exerçait son charme et, surtout, peu de jeunes immigrants étaient admis à l’école française. On se pince en se rappelant que les enfants de tous horizons, et jusqu’aux très catholiques petits Italiens, ont été envoyés à l’école anglaise ! Évidemment, c’est la période où le Québec est toujours « défavorable à l’immigration ». Même si la Confédération canadienne permet de compétences partagées avec les provinces en matière d’immigration, le Québec le voit comme un « problème externe », celui d’Ottawa notamment.
Il a fallu les bouleversements de mœurs parachevés lors de la Révolution tranquille, dont une baisse vertigineuse des natalités, pour transformer la peur de l’immigration en ouverture à l’Autre. En moins de 20 ans, le Québec passe d’un des endroits où l’on fait le plus d’enfants au monde à un où on en fait le moins. Voyant que la solide prépondérance de 80 % de francophones est menacée, il faut réagir. Il faut arrêter de vivre en vase clos. En comptant désormais sur les immigrants pour la survivance du Québec, on change soudainement de discours. En intégrant les immigrants dans ses rangs et en pavant la voie à l’émergence d’une classe socio-économique francophone, le Québec ne se contente plus de subir son destin ; il le prend enfin en main. La loi 101 est l’acte de naissance du Québec moderne.
On ne trouve rien d’aussi profond, encore moins d’aussi radical, dans le projet de loi 96. On pourrait même dire que l’ambiguïté chronique du gouvernement Legault vis-à-vis de l’immigration est aux antipodes de l’esprit de la loi 101. Bien sûr, la nouvelle loi linguistique prévoit des mesures supplémentaires en francisation, mais on est loin ici du pacte conclu avec les allophones en 1977. S’il y avait l’ombre d’une philosophie pro-immigration, il aurait fallu commencer par mettre un terme à l’attente interminable, absurde, des immigrants en attente d’un statut de résidence permanente. Sans parler de la loi 21, qui envoie un message de rejet à la communauté maghrébine, pour ne nommer qu’elle, une communauté déjà francisée, vitale pour l’avenir du Québec. La spécialité du gouvernement Legault vis-à-vis de l’immigration est de donner d’une main, tout en reprenant de l’autre.
Le projet de loi 96 souffre aussi de ne pas avoir trouvé sa propre raison d’être. S’il faut toujours des immigrants pour la survie du Québec, il faut aussi tenir compte du contexte actuel. Il ne suffit plus de solidifier les digues francophones, de simplement y ajouter des corps, comme le cherchait la loi 101. Le Québec jouit d’une classe d’affaires francophone de plus en plus aguerrie, mais ce n’est pas suffisant non plus. La culture anglophone est aujourd’hui tellement tentaculaire, tellement partout et par conséquent tellement importante pour quiconque veut se faire une tête, veut comprendre et avancer dans le monde dans lequel on vit, que l’approche de l’endiguement ne suffit pas. On ne peut se contenter d’ajouter un peu plus de français, en d’autres mots, là où l’on considère qu’il y a trop d’anglais.
Plutôt que de taper sans cesse sur le clou anglophone, solidifions plutôt la culture francophone. Rendons-la plus forte (l’enseignement amélioré du français, la promotion des arts et des artistes, ça urge !), plus créative, plus diversifiée. C’est la conclusion de 40 ans de loi 101, après tout. À force de se mélanger, de se côtoyer, nous ne sommes plus tout à fait les mêmes. Si on doit tenir tête à l’anglais, il faut que cet ajout de forces vives transparaisse. Il faut rendre le français un peu plus ludique, innovant, flexible, un peu plus étonnant, lui aussi. La seule véritable façon de contrer l’attrait de l’anglais n’est pas de l’exclure totalement, c’est de créer une culture, un vivre-ensemble plus irrésistible encore.
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