Les miracles existent. Outre les vaccins, l’hélicoptère sur Mars et le fait que le Québec s’en tire mieux (curieusement) que l’Ontario à l’heure actuelle, il y a le miracle Biden, au sud de nos frontières. Celui qu’on surnommait « Joe l’endormi », qui ne promettait rien de plus que le statu quo, qui n’a jamais su galvaniser une foule ni s’imposer par ses idées, celui qui a été vu toute sa vie avec une certaine condescendance, l’ami de tout le monde qui ne faisait peur à personne, cet homme-là est en train de profondément bouleverser les États-Unis d’Amérique.
Qui l’eût cru ?
Je bats ma coulpe. Je fais partie de la galerie de commentateurs qui a sous-estimé Biden et je me pince à le voir aller. À un moment où l’on désespère de voir la lumière au bout du tunnel, où l’on entretient très peu d’espoir de voir des transformations profondes s’installer à demeure, où l’on espère juste pouvoir revenir « comme avant », il faut souligner la petite révolution qui se passe chez nos voisins, orchestrée par nul autre que l’oncle Joe
Inspiré par son idole, Franklin D. Roosevelt, et peut-être surtout par la gravité du moment — le pays est à genoux après quatre ans de Donald Trump et un an de pandémie —, le président Biden a fait deux choses d’absolument remarquables jusqu’à maintenant : l’American Rescue Plan (ARP), à hauteur de 1,9 billion de dollars américains, presque l’équivalent du produit intérieur brut du Canada au grand complet, et le retrait des forces américaines d’Afghanistan prévu pour septembre. Ces deux décisions sont à mille lieues des dogmes qui ont façonné l’Amérique telle qu’on la connaît depuis 50 ans.
Plus qu’un simple réinvestissement dans l’économie, le ARP fait un pied de nez à l’aversion américaine pour l’ingérence gouvernementale. Le mythe du « méchant gouvernement » est né sous Ronald Reagan, l’acteur devenu président qui voyait le gouvernement comme un obstacle à la réussite personnelle. En 1986, Reagan affirmait que les mots les plus malicieux de la langue anglaise étaient : « Je suis du gouvernement et je suis ici pour vous aider. » Adulé encore aujourd’hui, l’ex-président est perçu comme un avatar du rêve américain, le cow-boy à l’assaut du rond-de-cuir, l’ambition personnelle qui sait s’affranchir de toute limite.
Grâce à la pandémie et à son prédécesseur, qui a réussi à démontrer par l’absurde le rôle essentiel de l’État, le président Biden remet les institutions démocratiques à l’honneur. Chaque vaccin donné à l’heure actuelle rappelle pourquoi un pays a besoin d’un gouvernement qui fonctionne. Mieux, en distribuant 1400 $US à chaque Américain gagnant moins de 75 000 $US par an, en investissant dans la garde des enfants, les soins aux aînés et aux handicapés, en haussant le salaire minimum, en encourageant la syndicalisation des employés d’Amazon et, surtout, en haussant les impôts des grandes entreprises — celles-là mêmes que par le passé le sénateur du Delaware défendait ardemment —, Biden se dissocie du néolibéralisme soutenu tant par les démocrates que les républicains depuis 40 ans. C’est un virage que ni Bill, ni Hillary, ni même Obama n’ont voulu prendre. Peu surprenant que Bernie Sanders ait qualifié ces mesures de « plus importantes pour la classe ouvrière depuis des décennies ».
Biden a compris que, malgré son caractère grotesque, Donald Trump n’était pas qu’une simple anomalie. Promettre le retour à la « décence » ne suffirait donc pas à remettre le pays sur pied. Il fallait s’attaquer aux profondes inégalités sociales à partir desquelles Trump lui-même a réussi à s’imposer. Entre 1979 et 2017, le pouvoir d’achat du salarié blanc moyen a baissé de 13 % aux É.-U., alors que le revenu national par habitant augmentait de 85 %. Les travailleurs industriels du Midwest perdaient massivement leur emploi alors que les élites des côtes américaines s’enrichissaient à vue d’œil. Or, « rien n’a mieux servi Trump que cette perception selon laquelle les démocrates étaient plus proches de Wall Street et des milliardaires du Web que des plombiers du Wisconsin ou des infirmières du Missouri », explique un article du magazine Der Spiegel.
Par l’intermédiaire de son vaste plan — qui n’est pas sans rappeler le réalignement proposé par Roosevelt, dans les années 1930, le « New Deal » visant à soutenir les plus démunis et à redynamiser l’économie américaine —, Joe Biden cherche à remettre les pendules à l’heure. Son audace ne s’arrête pas là. En osant mettre fin à la guerre en Afghanistan, la plus longue de l’histoire américaine, le nouveau président tourne le dos à ce mélange d’arrogance et d’ignorance qui, depuis la guerre du Vietnam, définit trop souvent la politique étrangère. En osant « s’affranchir des généraux », écrit Maureen Dowd dans le New York Times, Biden a décidé « d’écouter ce que nous dit l’Histoire plutôt que de se laisser mener par l’émotion et la vengeance ».
Il était temps que cette guerre finisse. Il était temps aussi de donner un coup de barre à l’Amérique. Qui aurait cru, maintenant, que Joe Biden serait l’homme de la situation ? Les plus grands héros sont souvent les plus improbables.
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