Les compagnies pharmaceutiques ont épaté en produisant des vaccins contre la COVID-19 en moins d’un an. La science, conjuguée à l’appât du gain, a fait ici des miracles. Mais pour ce qui est de la distribution du produit tant attendu, c’est une autre paire de manches. Très peu de pays agissent actuellement avec un véritable sentiment d’urgence — à l’exception d’Israël qui a déjà vacciné 44,5 % de sa population. Le Canada ? Environ 2 % en date du 25 janvier, encore moins que nos voisins américains (7 %) qui se sont pourtant démarqués par leur ineptie durant la pandémie.
Que se passe-t-il ? L’approvisionnement est en partie en cause. Bien que 400 millions de doses aient été négociées par le gouvernement Trudeau — assez pour immuniser la population entière plusieurs fois — moins de deux millions de doses ont été reçues jusqu’à présent. Sachant l’avidité avec laquelle nous attendons tous cette venue du messie — 74 % des Canadiens disent vouloir le vaccin — pourquoi la torture au compte-gouttes ? Mystère. Les contrats entre le gouvernement fédéral et les géants pharmaceutiques étant secrets, il est impossible de connaître les conditions négociées ni même le prix payé pour chacune des doses — ce qui pourrait bien avoir un effet sur la qualité de service après-vente.
Manque de transparence, encore une fois, dans la gestion de cette pandémie où nos gouvernements ne cessent de prétendre à un contrôle qu’ils n’ont manifestement pas. Mais il n’y a pas que le fédéral, les provinces ont aussi une part essentielle à jouer dans la campagne de vaccination. Au Québec, on se targue d’être parmi les premiers de classe pour ce qui est de la distribution du vaccin, mais son déroulement, ici aussi, souffre de manque d’efficacité et de transparence. Le modèle, semblable d’une province à l’autre, est bureaucratique à souhait. Un exemple de son dysfonctionnement ? On a nommé un militaire à la tête des opérations tout en boudant les médecins et infirmières de première ligne. Selon le modèle proposé, la Santé publique doit procéder à la vaccination massive par le biais de cliniques désignées et de pharmacies seulement.
« Personne ne sait exactement quel pourcentage de la population doit être vacciné afin d’atteindre l’immunité collective », écrit dans le Globe and Mail Vincent Lam, un omnipraticien torontois qui plaidait récemment pour la mobilisation des médecins de famille dans la lutte contre le coronavirus. « Mais si nous voulons vacciner assez de gens pour y arriver, il faut que les omnipraticiens soient au cœur de la campagne. »
Qui sont ceux qui, mieux que les médecins de famille, ont la santé des gens à cœur ? Connaissent leur bilan médical ? Sont susceptibles de vaincre les réticences face à la vaccination ? Sans parler du simple accès. Il y a plus de 11 000 omnipraticiens au Québec, multipliez ce nombre par quelques centaines de patients par semaine et vous vous retrouvez avec du monde à la messe. Et, pourtant, les omnipraticiens ne font pas partie de la stratégie vaccinale à l’heure actuelle. Selon le Dr Lam, ils n’ont pas non plus accès au registre central identifiant les personnes qui ont été vaccinées à ce jour.
On reproduit ici l’erreur fondamentale de la gestion de la pandémie depuis le début : le personnel le mieux outillé à venir en aide aux patients ne se retrouve tout simplement pas dans l’équation. Une fois le diagnostic de COVID posé, on ne traite pas les malades, on les confine à domicile en croisant les doigts. On impose des mesures sociales plutôt que des soins médicaux et puis, ô surprise, quand les conditions s’aggravent, on n’a pas d’autre choix que d’envoyer les malades dans les hôpitaux. Avec les conséquences qu’on sait, et qu’on redoute, tant pour les hôpitaux que pour les malades.
Derrière ce vice de forme évident se dessine un vice plus profond : la hiérarchisation du système de santé dont le Québec, en particulier, a le secret. Les « soins de proximité » dans cette province ont subi un échec après l’autre — la faillite des CLSC (1971), de la « réforme ambulatoire » (1995), des soins à domicile (2014) — préparant ainsi le terrain aux méga hôpitaux et aux médecins spécialistes. Ce sont eux qui aujourd’hui ont le haut du pavé, les médecins et infirmières de première ligne venant, on le voit bien, loin derrière.
Encore plus bas dans l’échelle des priorités venait, jusqu’à récemment, la Santé publique. La pandémie a remis en question ce parti pris, et c’est tant mieux. Mais bien que valorisée au moment où l’on se parle, la Santé publique traîne quand bien même de vieilles lacunes. On ne passe pas des décennies dans la cave de la maison familiale, privés de visibilité et de ressources, sans que ça ne paraisse un peu. On le voit dans les interventions un peu trop improvisées du Dr Arruda, dans le manque d’études sérieuses derrière certaines décisions et, surtout, le manque de préparation face à la pandémie dès le départ.
Il n’est pas trop tard pour revoir la stratégie de vaccination et inclure ceux et celles qui ont une véritable expérience de terrain. Rien n’est plus crucial, après tout, que le succès de cette campagne.