L’avenir du français inquiète. Avant même l’affaire Lambropoulos, les révélations du Journal de Montréal (« Incapables d’être servi en français ») semaient l’émoi, ravivant la peur de l’anglicisation de la métropole. Derrière cette commotion s’en cache une autre, bien plus importante à mon avis, l’indifférence des jeunes. Selon un récent sondage, 61 à 74 % des 35 ans et plus se rongent les ongles à propos de l’avenir du français alors que 50 % des 18-34 ans se disent « pas du tout » ou « peu préoccupés ».
Sans parler des déclarations d’amour du français qui nous parviennent d’Ottawa, ces temps-ci, le désintérêt des jeunes signale un nouveau paradigme. La division ne s’articulant plus selon un axe strictement français/anglais — les Franco-Québécois s’inquiétant pour leur survie, les Anglo-Canadiens n’y voyant que du feu — la solution du galon à mesurer, en vigueur depuis l’adoption de la loi 101, n’est-elle pas elle aussi désuète ? En d’autres mots, on peut toujours rehausser la quantité de français sur la place publique, serrer la vis aux cégeps anglophones, mais sans nécessairement améliorer l’avenir du Québec pour autant.
Le problème aujourd’hui n’est pas tant qui parle quelle langue, mais plutôt qui pense quoi. C’est moins une question de langue que de culture. Joshua Pace, jeune traducteur de mère québécoise et de père d’origine italienne, l’explique comme nul autre dans un texte sur le site Ricochet. « Je suis le sujet même de la culture dominante. Comment expliquer alors que j’ai autant de mal à m’identifier à la culture québécoise ? » Réponse : l’inquiétude perpétuelle pour une « langue commune » laisse trop souvent en plan la préoccupation d’une culture commune.
« Comment pourrais-je me sentir proche d’une culture qui échoue à représenter la différence, et mes amis noirs, arabes, asiatiques, latinos ? N’est-il pas évident que, du même coup, cette culture-là, en faisant l’impasse sur le monde dans lequel j’ai grandi et dans lequel j’évolue au quotidien, et sur les gens que j’aime, échoue à me représenter aussi ? »
Le modèle de la survivance québécoise, même à son zénith, voguant sur les ailes de la Révolution tranquille et des vers de Gaston Miron, ouvert à l’amour et au vaste monde, a toujours passé par le tricoter serré. J’en sais quelque chose. La première grande décision de ma vie d’adulte a été celle de m’établir au Québec, non seulement pour pouvoir vivre en français mais, mieux, pour avoir accès à une culture française. Et pourtant, 45 ans plus tard, on me fait encore sentir que je ne suis pas une vraie Québécoise. J’ai l’air, le nom et les intonations d’une vraie Québécoise mais, malgré ça, j’échoue parfois à obtenir le pedigree. J’ai fini par comprendre que les années où « rien ne devait changer » au pays de Maria Chapdelaine, le siècle et demi de repli sur soi avait dû laisser des marques indélébiles sur l’inconscient collectif.
Le Québec est en même temps, comprenez-moi bien, un endroit exceptionnel, curieux, spontané, vrai et immensément créatif. Ce passé singulier qui nourrit une certaine méfiance de l’Autre nourrit également, je crois, une rage de vivre, un besoin de se mettre au monde. Les grands jours, le Québec est comme el pibe de oro, Diego Maradona, le p’tit gars parti de loin qui marque un but complètement fou (contre les Anglais, tiens), courant plus vite que la misère qui lui colle au cul. Le Québec est politiquement et surtout culturellement l’endroit le plus inspiré d’Amérique du Nord. Ça bout ici et c’est la raison pour laquelle on veut y vivre.
Seulement, cette tendance à tracer une ligne, parfois subtile, parfois pas subtile du tout entre la majorité et les minorités (la Charte des valeurs, la loi 21, le refus de reconnaître le racisme systémique…), ce qu’Adib Alkhalidey décrivait récemment comme l’invisibilité des personnes racisées au Québec, n’est pas seulement un problème pour l’intégration des gens venus d’ailleurs. C’est un problème pour la suite des choses au Québec.
Le Québec sera forcément multiculturel, diversifié, métissé, ou ne sera pas. L’immigration est essentielle pour maintenir ce (presque) pays en vie. Il faut cesser de voir ça comme une menace, arrêtez de passer à côté de tout ce « potentiel », pour citer Adib à nouveau.
L’anglicisation, oui, voyons-y, mais en ne perdant pas de vue que ce n’est pas ça l’essentiel. Nous fixons continuellement le doigt plutôt que la lune pointée par le doigt. Regardons plus loin. Si les jeunes francophones choisissent le collège Dawson ou l’Université McGill ce n’est pas par envie de s’angliciser mais bien de voyager, comme dit Joshua, de trouver « des voies de passage vers un autre monde ». Bref, de voir plus grand. Quoi de plus sain ?
Il faut arrêter de penser que l’avenir du Québec passe par vivre dans une seule dimension. Il faut permettre le voyage tout en s’assurant que la terre natale demeure un lieu foisonnant, ouvert, multidimensionnel, un lieu où on a envie de revenir parce qu’au fond, c’est ici qu’on est bien. Ici que la vie bat son plein.
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