Il est possible d’acheter son salut sur Terre, et même au-delà, d’effacer ses fautes, pourvu qu’on soit disposé à payer. La Bourse du carbone, sur laquelle mise le gouvernement Legault dans son plan vert, est un bon exemple de ce type de comptabilité auquel l’Église catholique, il faut dire, nous avait habitués.
La Bourse du carbone n’est pas sans rappeler les bonnes vieilles indulgences — toujours en vigueur, soit dit en passant — permettant aux fidèles de minimiser leur purgatoire, y compris celui d’un défunt, en rachetant un péché ou un écart de conduite. Il s’agit de s’engager officiellement, devant un prêtre, à faire une bonne œuvre afin d’effacer une transgression. Pour ceux ou celles que ça intéresse, le Vatican vient d’annoncer que la période d’acquisition d’indulgences s’étend exceptionnellement cette année, pandémie oblige, tout le mois de novembre. Je n’invente rien.
Le plan quinquennal sur l’environnement, enfin dévoilé cette semaine, reflète un même esprit entrepreneurial. Le slogan de la nouvelle politique, « Plus de richesse, moins de GES », comme d’ailleurs son titre,Plan pour une économie verte (PEV), donne admirablement le ton : l’accent ici est davantage mis sur l’économie que sur l’environnement. Le « virage » n’est pas tant celui des individus et des entreprises, mais consiste essentiellement à faire bénéficier l’économie d’un immense chantier d’électrification des transports et des bâtiments.
C’est un véritable pont en or pour Hydro-Québec, en fait, mais pour le reste ? Où est le virage à la hauteur du « devoir moral » que nous impose désormais la catastrophe environnementale ?
Comme l’ont souligné les experts écologistes, un véritable cap sur l’environnement aurait nécessité un frein à l’utilisation de la voiture, à la consommation d’essence, à l’étalement urbain. Des mesures contraignantes telle une taxe à la pompe et à l’achat de VUS, des mesures qui signaleraient un véritable changement d’attitude, pas seulement un changement d’approvisionnement d’énergie. Il y a ici trop de vœux pieux, trop d’insistance sur « la technologie du futur » qui viendrait comme par miracle nous sortir du trou et, peut-être surtout, beaucoup trop d’attentes vis-à-vis de la fameuse Bourse du carbone.
Né dans la foulée du protocole de Kyoto en 1997, le marché du carbone permet à des entreprises polluantes de se dédouaner face à l’environnement en payant pour chaque tonne de GES qui excède les limites établies. La compagnie, elle, peut continuer à polluer, pourvu que cet argent serve à financer des mesures compensatoires telle la reforestation, ou encore, dans ce qui est convenu d’appeler une vieille marotte québécoise, l’électrification des transports.
Le plan déposé par le gouvernement Legault cette semaine prévoit que plus de la moitié de la cible de réduction prévue d’ici 2030 — 15 sur un total de 29 tonnes de GES — doit « potentiellement » se faire par l’intermédiaire du marché du carbone avec la Californie. « Potentiellement » est un mot ici à souligner à gros traits. Car la réussite d’une telle entreprise repose d’abord sur la capacité des entreprises californiennes à maintenir leurs émissions sous la limite permise et à cumuler des crédits. Celles-ci pourront ensuite vendre leurs efforts — chaque tonne de GES « réduite » vaut actuellement 22 $ — aux entreprises québécoises qui, elles, appliquent ces crédits à leur propre bilan environnemental. Sans oublier la bénédiction fédérale qui doit couronner une telle manœuvre.
Notons l’immense tour de passe-passe. Sur papier, le Québec fait un énorme bond en avant pour ce qui est de la lutte contre les changements climatiques. Mais, dans les faits, c’est la Californie qui réduit les gaz toxiques, la Californie qui fait de l’argent et la Californie qui investira cet argent dans des énergies vertes. Contrairement aux indulgences où, en principe, il faut poser un geste réellement réparateur, il est possible ici de transférer cette obligation à quelqu’un d’autre pour ne pas soi-même brûler en enfer. Il s’agit d’y mettre l’argent nécessaire. Money talks.
En plus de mettre l’accent sur une immense partie de poker mondial, essentiellement ingérable, le marché du carbone ouvre la porte à la tricherie éhontée. En Russie et en Ukraine, par exemple, certaines usines se sont mises à gonfler artificiellement la production de gaz pour ensuite baisser au taux habituel, gagnant ainsi des crédits qu’elles revendaient aussitôt. La belle affaire. Sans tomber si bas, une enquête du média indépendant Propublica (2019), spécialisé dans les abus de pouvoir, démontre qu’aucun des crédits carbone investis par les entreprises californiennes depuis 20 ans n’a donné les résultats escomptés. « Ultimement, les pollueurs conservent le droit de polluer sans que la forêt [en Amazonie ou ailleurs] s’en porte mieux », dit le rapport.
En privilégiant les mesures symboliques, le plan vert, loin de nous permettre d’échapper au purgatoire, malheureusement nous y confine.
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