Au moment où le Parti québécois propose de « décanadianiser » le Québec, osons la question qui tue : ne faudrait-il pas plutôt « canadianiser » le Québec ? En vue d’une épidémie ravageuse et apparemment sans fin, ne faudrait-il pas plus de concertation canadienne ? Plus de partage de données entre provinces ? Ne faudrait-il pas s’entendre, surtout, sur la meilleure façon de combattre ce fléau qui, lui, ne connaît pas de frontières ? Et ne faudrait-il pas donner au fédéral le pouvoir de coordonner tout ça ?
Ça frise le blasphème, je sais. L’autonomie provinciale en matière de santé est une vache sacrée, garantie, de plus, par la Constitution canadienne. Il ne s’agit pas évidemment d’abandonner le contrôle du système de santé au grand complet. Seulement de reconnaître qu’une situation exceptionnelle exige des mesures exceptionnelles. Le Québec a boudé les offres d’Ottawa de fournir plus de main-d’œuvre pour le suivi des contacts après avoir lui-même fait appel à l’armée canadienne pour parer, là aussi, à un manque flagrant de personnel. Le système est clairement dysfonctionnel. On peut sûrement faire mieux.
Les fédérations très décentralisées, telles que le Canada, l’Allemagne, la Suisse, l’Australie — qui se sont toutes assez bien tirées d’affaire lors de la première vague —, se retrouvent aujourd’hui désemparées devant la dernière onde, en partie à cause de cette dissonance interne. L’Allemagne en est un bon exemple. Angela Merkel avait pourtant réussi au printemps à imposer aux 16 cantons des mesures qui ont produit d’excellents résultats. Plus maintenant. Déposé il y a 10 jours, un projet de loi pour parer à la deuxième vague a été affaibli par certains länder qui refusent, entre autres, d’imposer le port du masque aux enfants d’école.
La décentralisation politique n’est pas le seul coupable, bien sûr, du chaos actuel. Le fait qu’on en apprenne tous les jours sur le virus complique les choses. Et puis, plus on avance, plus il est évident que « sauver des vies » devient une considération parmi d’autres. Il y a aussi l’économie, la cohésion sociale, la santé mentale, la socialisation des jeunes, l’isolement des vieux. Il y a la tendresse, bordel, et la vie qu’on voudrait comme avant. J’ai moi-même plaidé en ce sens à quelques reprises. Toutes ces considérations expliquent la tour de Babel dans laquelle on se retrouve et où chacun y va de son cocktail maison pour parer à la pandémie.
À l’heure actuelle, il est évident que la stratégie ne saurait se limiter à prévenir les cas d’infection afin de protéger nos systèmes de santé. Il faut voir plus large. Cela dit, plongés à nouveau dans l’urgence, submergés par une deuxième vague dont on ne voit pas la fin, ne faudrait-il pas profiter de ce que nous avons appris et en faire une stratégie commune ? Tester, tracer, isoler. C’est le triumvirat de la réussite, nous disent les pays asiatiques, pour autant que ces mesures soient très largement implantées et minutieusement coordonnées entre elles. Ce n’est pas le cas actuellement dans la majorité des provinces canadiennes, dont le Québec. Mais alors, qu’attendons-nous ? Ottawa, qui, selon la Loi canadienne sur la santé, a déjà la responsabilité d’assurer les mêmes services, selon les mêmes standards, à tous les Canadiens, aurait ici la responsabilité de s’assurer que cette stratégie sanitaire fonctionne partout au pays, au diapason, et de combler les trous au besoin.
Au-delà de reconnaître que nous sommes tous dans le même bateau et qu’une solidarité, même extra muros, nous incombe, il y a aussi une raison scientifique pour un tel front commun. Plus on fait barrage au virus, plus celui-ci risque de devenir bénin. Le saviez-vous ? J’avoue avoir été soufflée de l’apprendre récemment. Il n’y aurait pas seulement un esprit de guerre de tranchées et une certaine panique, comme on a pu le constater au début de la pandémie, derrière le Grand Confinement. Il y a désormais une véritable justification scientifique — ce qui change la donne et appelle de plus belle à une concertation canadienne.
Comme tout organisme vivant, « le virus ne cherche pas d’abord à tuer », explique la journaliste scientifique Laura Spinney dans The Guardian. Il cherche d’abord à se répandre. Un pathogène extrêmement virulent qui tue ne remplit pas sa mission puisque — à moins d’avoir une panoplie d’hôtes sur qui s’abattre rapidement — il meurt lui aussi. Or, plus on rend sa propagation difficile — en minimisant les contacts, en interceptant les aérosols en plein vol, etc. —, plus le virus s’adapte, devenant moins dangereux, « afin de ne pas être exterminé avant d’avoir trouvé de nouveaux hôtes appropriés ». On voit d’ailleurs que le coronavirus, après des mois de restrictions, n’a pas du tout la même nocivité aujourd’hui et est en train de devenir, selon certains experts, l’équivalent du virus de la grippe. Tout à fait gérable.
Alors, qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? Nous savons ce qu’il y a à faire, comment le faire et nous savons aussi pourquoi le faire. Faisons une croix sur la petite politique et unissons nos efforts, pour une fois.
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