Les Québécois ne sont pas, finalement, des as de la solidarité. Il est peut-être temps de l’admettre. La fronde annoncée par des propriétaires de gymnases — ils menacent de rouvrir leurs portes d’ici jeudi — nous fournit encore un exemple de cette tendance à ruer dans les brancards. « On veut des chiffres vérifiés », dit le porte-parole Steve Dubé, ajoutant qu’il n’y a pas de preuves de propagation de virus dans leurs établissements.
Si on peut se poser des questions sur la sagesse de la manœuvre, les propriétaires de gym ont quand même raison de se poser des questions sur la stratégie gouvernementale. On est nombreux à se poser (discrètement) les mêmes questions. Il est évident que le gouvernement ne fournit ni suffisamment de données ni même suffisamment d’explications pour justifier ses variations sur le thème du confinement. Cette menace de désobéissance civile, de la part non pas de fieffés complotistes mais de simples commerçants, démontre que la méthode de confinement n’est pas viable à long terme.
Le besoin de mieux cibler les mesures sanitaires est précisément ce qui a motivé la récente Déclaration de Great Barrington, le manifeste de trois scientifiques inquiets pour la suite des choses. « Conserver les politiques actuelles de confinement […] causera des dégâts irréparables », disent-ils. Bien sûr, tout ce qui se réclame de l’économie d’abord, de la liberté à gogo ou du grand n’importe quoi — du gouvernement américain à Éric Duhaime, en passant par les conspirationnistes — se sont empressés de se draper dans cette déclaration pour justifier leurs propres positions. De là à condamner la réflexion proposée par les trois spécialistes comme étant elle aussi dangereuse et « sans éthique », il n’y a qu’un pas qui a vite été franchi.
Seulement, la Déclaration de Great Barrington, tout comme l’approche suédoise, dont elle s’inspire d’ailleurs, est tout sauf immorale. Il ne s’agit pas de « lâcher tout le monde lousse », comme on a pu lire, mais de protéger au maximum les plus vulnérables, les 60 ans et plus, en incitant le reste de la population à l’autodiscipline : distanciation sociale, lavage de mains et port du masque au besoin. Cette stratégie est basée sur l’aspect le plus troublant du virus : sa capacité d’être « 1000 fois plus mortel » pour les personnes âgées que pour les plus jeunes. Il s’agit presque de deux maladies distinctes tellement elle est sans merci chez les personnes fragilisées et relativement bénigne chez les bien portants (à quelques exceptions près, bien entendu). Il faut donc deux stratégies distinctes, disent ces trois experts, en fonction de deux situations différentes.
Le modèle de « protection ciblée » ici proposé n’est évidemment pas sans failles. Comment faire pour protéger les plus vieux tout en laissant les autres vivre plus ou moins normalement ? Le manifeste est plutôt avare de détails, c’est vrai, mais, si j’en parle, c’est surtout pour souligner l’esprit derrière cette approche, un esprit à la fois plus stratégique et plus holistique.
La santé publique, d’abord, est une préoccupation globale qui se décline à plusieurs niveaux, rappellent les trois épidémiologistes. Or, le combat mené actuellement contre la COVID a des effets désastreux sur d’autres questions de santé : moins de vaccinations chez les enfants, plus de maladies cardio-vasculaires, moins de dépistages de cancers, plus de suicides et de dépression. On ne peut pas continuer à ignorer ces problèmes encore longtemps. Ensuite, la méthode du confinement est bonne pour les bien nantis, ceux et celles qui peuvent travailler tranquillement de la maison (ou du chalet), mais pour les plus défavorisés ? L’exposition au danger à l’heure actuelle n’est pas du tout équitablement répartie. De plus, dans les pays du tiers-monde, des milliers risquent la famine à cause des ravages de la pandémie.
On dénote ici un souci de justice sociale et de bien-être collectif — pas seulement celui que procurent le travail mais aussi le théâtre, le cinéma et, oui, le gym. Une façon de concevoir le monde. On note aussi une préoccupation de la nature humaine. En Suède, par exemple, « on est conscient que d’en demander trop risque de décourager les gens et, donc, de propager plutôt que de contenir le virus ». On coupe souvent la poire en deux — proposant des quarantaines écourtées, par exemple — tout en maintenant un système rigoureux de dépistage et de recherche de contacts. Il y a à la fois la reconnaissance d’un problème inédit et le besoin de ne pas tout sacrifier sur son passage. Un souci tatillon de maintenir un certain équilibre.
Au Québec, on sent aussi la recherche de cet équilibre mais plus maladroitement, si l’on peut dire. Il n’y a pas ici une vision bien définie de ce qui devrait être le bien commun recherché. On est trop souvent à la remorque de la « courbe » et du court terme. Ne sentant pas une direction sûre, comment se surprendre que les Québécois, contrairement aux Suédois, n’aient pas entièrement confiance et, par conséquent, sont moins prompts à suivre les règles ?
fpelletier@ledevoir.com
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