Plusieurs milliers de personnes dans les rues de Montréal, samedi dernier, rappellent que la résistance à la « nouvelle normalité » prend de l’ampleur. Parmi les « illuminés » qui rejettent les mesures sanitaires dictées par les autorités, vous aurez peut-être remarqué de plus en plus de femmes qui, elles, ne répondent pas nécessairement au portrait du conspirationniste achevé : un homme, blanc, plutôt jeune, de la « classe populaire ».
Ces « déplorables », pour reprendre le terme utilisé par Hillary Clinton en 2016 pour décrire une partie de l’électorat qui mena Donald Trump au pouvoir, et qu’on retrouve aujourd’hui menant la parade des antimasques chez nous, allant jusqu’à menacer les autorités gouvernementales par tweets interposés, expliquent, en grande partie, pourquoi le phénomène suscite un certain revers de la main. Pourquoi s’attarder à ces ignares, gonflés à bloc sur les stéroïdes des réseaux sociaux, qui veulent à tout prix se rendre intéressants ? Seulement, la réalité est un peu plus complexe.
Une enquête menée récemment par la Fondation Jean-Jaurès en France montre que 63 % des militants antimasques sont en fait des femmes. L’âge moyen est de 50 ans et 36 % ont un niveau d’éducation très supérieur à la moyenne (bac + 2 ans). Il n’y a pas d’étude équivalente au Québec à l’heure actuelle, mais on peut s’imaginer — en entendant jusqu’à des infirmières se plaindre des mesures imposées — que le contingent de protestataires féminins est, ici aussi, à la hausse. Le phénomène est d’autant plus intrigant qu’il semble contredire certaines idées reçues — dont la gestion exceptionnelle des femmes durant la pandémie.
Les cheffes de gouvernement (Angela Merkel, Jacinda Ardern, Sanna Marin) ont en effet mieux tiré leur pays d’affaire que beaucoup de leurs vis-à-vis masculins pour une raison qui, à mon avis, saute aux yeux : les femmes sont généralement plus prudentes que les hommes. Elles ne tiennent pas pour acquis que « ça va bien aller ». S’inquiétant davantage, elles prennent davantage de précautions. On l’a vu d’ailleurs en Colombie-Britannique, où la responsable de la santé publique, la Dre Bonnie Henry, a été plus rapide à fournir le matériel adéquat, à instaurer des zones chaudes et froides dans les résidences pour aînés et à fournir des explications beaucoup plus exhaustives au public, avec les résultats exceptionnels qu’on sait.
Comment alors concilier ce sens des responsabilités et de l’organisation avec la déviance civique d’un nombre croissant de femmes qui refusent de se plier aux consignes ? La maternité y est pour beaucoup — comme l’indique ce message aperçu parmi les manifestants : « Ne touchez pas à mes enfants. » Le besoin de protéger ses enfants de mesures perçues comme mal avisées ou abusives damera toujours le pion à celui de protéger ses voisins. Les groupes anti-vaccins, qui aujourd’hui se fondent avec les antimasques, sont très majoritairement composés de femmes précisément pour cette raison. Au Québec, de plus, 1 mère sur 10 est à la maison à temps plein (11 %), sans compter toutes celles qui l’ont été, ou le sont encore, pour cause de pandémie, ouvrant ainsi la voie à des heures et des heures de plaisir sur Facebook et, quasi inévitablement, à une certaine désinformation.
Une partie de ces femmes ont sans doute rejoint les rangs des complotistes purs et durs — ceux qui imaginent le gouvernement de mèche avec des réseaux de pédophiles et de trafiquants d’enfants. Mais comme l’illustrent les données de l’enquête citée plus haut, il importe de ne pas mettre tous les protestataires dans le même panier. Il y a de bonnes raisons de se plaindre, après tout, de la façon dont la crise a été gérée au Québec. Peut-on l’admettre enfin, tout bon francophone à l’écoute de notre gouvernement que nous sommes ? Sauvons des vies et protégeons les ressources hospitalières, bien sûr, mais où est l’espace public pour se lamenter sur ce qui, à force de se confiner, de se distancier, de se masquer, se perd ?
« Et si notre but était non pas de rester vivants, mais de rester humains », affichait une pancarte samedi dernier. La vie est plus que la simple survie, en d’autres mots. Ce n’est pas là le message de fous furieux ou de laissés-pour-compte qui tentent de s’arroger les feux de la rampe coûte que coûte. C’est le message de gens qui craignent — à la suédoise, disons — qu’une gestion trop répressive de la crise puisse avoir des conséquences plus nocives que le virus lui-même. Ce n’est pas farfelu de penser ça. D’ailleurs, la Suède, qui a subi l’opprobre de la communauté internationale pour sa gestion non orthodoxe de la pandémie, imposant peu de contraintes, s’en tire actuellement beaucoup mieux que d’autres pays européens (la France, l’Italie, la Grande-Bretagne…) et se trouve, en pourcentage de décès, à égalité avec le Canada.
Il n’y a pas qu’une seule bonne règle à suivre et, par conséquent, une seule bonne façon de se comporter. C’est ce qui définit la religion, pas la démocratie. La déviance politique qu’on voit est aussi une réaction à la pensée unique.
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