Des effluves de Purell matin, midi et soir et des gens masqués à la piscine comme à l’épicerie, en solo comme en groupe. Ah ! et deux bêtas le sourire fendu jusqu’aux oreilles serrant de trop près une journaliste visiblement tétanisée. Ce sont les images que je retiens de cet été pas comme les autres. Depuis l’imposition obligatoire du masque, notamment, on sent de petites armées se coaliser, se dévisageant avec mépris de part et d’autre d’un grand champ de bataille. D’un côté, la majorité silencieuse, le masque en bandoulière, pour qui la pandémie n’est pas matière à rigoler. On applique ici consciencieusement les mesures de santé publique en ne se gênant pas pour faire la morale à droite et à gauche. De l’autre, la minorité gueularde (« libârté ! »), qui n’entend pas se faire dicter une mesure aussi répugnante et à ses yeux inutile. D’un côté, le théâtre de l’hygiène et de la bonne conduite ; de l’autre, le cirque de la rue et du m’as-tu-vu.
Quiconque ne se reconnaît pas tout à fait dans l’une ou l’autre de ces tendances se retrouve, malheureusement, coincé entre l’arbre et l’écorce. Il n’y a pas de troisième voie, tous les efforts (ou presque) allant dans un sens ou dans l’autre. Ou vous croyez en l’Évangile de la prévention à tout prix et en tout temps, ou vous êtes un « yahoo », un fier-à-bras gavé de fausses informations et imbu de vous-même. C’est pourtant un peu plus compliqué. Il incombe à tous, bien entendu, de minimiser la transmission de la maladie. Le virus, on le voit, est loin d’avoir dit son dernier mot. Le masque, par conséquent, aussi détestable soit-il, est littéralement un mal pour un bien. Il faut l’adopter, peu importe le sentiment d’étouffement ou de libre penseur qui sommeille en vous.
En même temps, c’est trop facile de mettre tous ceux qui s’élèvent contre le port obligatoire du masque dans le camp de l’extrême droite, des fieffés complotistes ou d’émules de Donald Trump. Que des gens remettent en question des directives gouvernementales exceptionnelles est généralement bon signe — et non le contraire. À plus forte raison dans le contexte d’une crise sanitaire mondiale qui, manifestement, a connu beaucoup d’improvisation et ouvre la porte à un certain autoritarisme. Le projet de loi 61 s’inscrit d’ailleurs sous cette enseigne. Et puis, faut-il être de droite, ou tombé sur la tête, pour déplorer l’abandon de l’intimité physique, des gestes spontanés, de l’envie de toucher quelqu’un qui ne nous inspire que du bon ? La vie sociale — et que dire de la vie culturelle ? — est devenue un triste spectacle. Peut-on le dire ? Peut-on ne pas aimer la « nouvelle normalité » qui consiste à se fuir, à se méfier les uns des autres et à déambuler comme une horde de bandits en goguette ?
On a beau comparer le port du masque à celui de la ceinture de sécurité afin de calmer les esprits échaudés, le parallèle tient difficilement la route. D’abord, il n’y a aucune symbolique malveillante associée à la bande de tissu qui vous cloue à votre siège. La ceinture ne change ni votre allure, ni votre comportement et n’altère pas les rapports sociaux. Surtout, la ceinture n’a pas été imposée dans le contexte d’une crise sanitaire planétaire. Elle est libre de toute connotation politique. Elle est neutre alors que le port du masque incarne la mainmise de la santé sur toute la vie publique, incluant la politique. Nos oracles aujourd’hui ne sont pas des philosophes, des artistes ou même de grands hommes ou de grandes femmes d’État, mais bien des experts médicaux.
Au cours des six derniers mois, la santé est devenue un nouveau temple, la valeur suprême à la lumière de laquelle tout doit être évalué. Le nouveau contrat accordé au directeur national de santé publique, Horacio Arruda, avec un salaire qui, en y ajoutant l’allocation de logement, dépasse tous ceux de la haute fonction publique, est une illustration de cette nouvelle consécration. M. Arruda recevra près d’un million de dollars d’ici 2023. On croyait pourtant que la crise sanitaire avait remis les choses en perspective. En santé, ce sont les strates du bas de l’échelle qui ont besoin d’être mieux soutenues, pas le haut de la pyramide. Mais comme les anges gardiens en attente d’une régularisation de leur statut l’ont récemment démontré, il y a malheureusement encore loin de la coupe aux lèvres.
Tout ça pour dire que si les matamores, les fabulateurs et les irresponsables, les forces vives des antimasques à l’heure actuelle offrent un spectacle souvent désolant, il faut se garder de conclure à un comportement au-dessus de tout soupçon chez les forces opposées. Si la peur se trouve derrière plusieurs des menaces, des coups et des insultes venant des récalcitrants, elle motive aussi la bonne conduite d’une bonne part des sans reproches. Personne ne comprend après tout ce qui arrive ; personne ne sait où tout ça va nous mener. Toutes les raisons sont bonnes pour marcher les fesses serrées ou encore pour jeter son désarroi au visage de quelqu’un.
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