Le port du masque est désormais chose acquise. Après qu’on l’a regardé de haut, et je m’inclus ici parmi les récalcitrants de la première heure, le directeur national de santé publique en a lui-même fait la promotion, vendredi dernier, en prenant bien soin de respecter l’élégance vestimentaire à laquelle il nous a habitués. Il a récidivé en point de presse mardi, cette fois en compagnie de François Legault et Danielle McCann. On se doute que la situation alarmante dans la métropole a dû jouer un rôle dans le changement d’attitude du docteur Horacio Arruda, comme chez bon nombre de Montréalais d’ailleurs. Si le confinement pur et dur des sept dernières semaines nous a si peu réussi — Montréal étant aujourd’hui une des villes les plus touchées au monde —, aussi bien essayer autre chose. Le masque, pourquoi pas ? D’autant plus qu’il permet un peu plus de circulation à l’air libre.
Seulement, le masque n’est pas sans soulever d’énormes contradictions vis-à-vis du port de signes religieux que le gouvernement Legault s’est fait un devoir d’interdire. On nous demande aujourd’hui de porter un masque pour des raisons de santé publique, de respect des autres, du légendaire « vivre ensemble », alors qu’on exige de nombreux employés de l’État de ne justement rien porter sur la tête ou le visage pour les mêmes raisons. Comment peut-on concilier ces deux mots d’ordre ? Comment le port de signes religieux, pourtant moins laids et souvent moins ostentatoires, enverrait-il un mauvais signal, le refus d’intégration dans la communauté d’accueil, et celui du port du masque, le signal contraire, le souci de cette même communauté ?
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Questionné sur le sujet lors d’un point de presse rituel, le premier ministre Legault s’est contenté de dire, un brin excédé, que la loi interdisant les signes religieux continuera à s’appliquer. Prochaine question. On était encore à l’heure des arcs-en-ciel et des scénarios plutôt optimistes, à l’heure où le Dr Arruda semblait toujours peu friand du port du masque. On mesurait encore mal tout ce que cette invraisemblable pandémie nous forcerait à réexaminer, à voir et à comprendre avec les yeux écarquillés des grandes crises.
En France, le port du masque est obligatoire dans les lycées et les transports en commun depuis quelques jours. Des caméras dans le métro de Paris assureront la surveillance et les fautifs seront passibles d’une amende de 135 euros. Les marchands peuvent également exiger de leurs clients qu’ils portent un masque, sous peine d’expulsion. Au pays qui s’est justement démarqué par son refus catégorique du voile, qui a même interdit le cache visage lors des manifs des gilets jaunes, ces deux poids, deux mesures ne passent évidemment pas inaperçus.
« Les musulmans voient toute l’ironie de ces mesures », dit Karima Mondon, enseignante lyonnaise portant le foulard. « Il n’y a pas si longtemps, on nous apprenait que refuser de faire la bise était un “signe de radicalisation”, alors qu’aujourd’hui on nous dit, au contraire, que ça équivaut à une bonne pratique de santé publique. »
Après avoir interdit le port du hidjab dans les écoles en 2004, l’Hexagone a banni en 2010 le port du niqab et de la burqa dans l’espace public. Bien que peu de pratiques soient aussi détestables, on s’entend là-dessus, il n’est pas simple de les interdire pour autant. Comment une société « libre et démocratique » peut-elle dicter le comportement vestimentaire de simples citoyennes, qui n’ont ici aucune fonction étatique, sans, du même coup, violer les droits les plus fondamentaux ? Ceux du libre arbitre, de la conscience et de la religion. Il n’y a que deux arguments possibles dans de telles circonstances, ceux de la sécurité publique et du vivre ensemble. Cacher son visage, c’est cracher sur le contrat social qui nous unit, dit essentiellement la loi française.
Maintenant qu’on veut donner le sens contraire à précisément le même geste — le « bon citoyen » étant celui ou celle qui se couvre désormais le visage, et non l’inverse —, comment maintient-on l’interdiction de vêtements religieux ? Comment prétendre qu’il y a un problème de sécurité publique ou de cohésion sociale dans un cas, mais pas dans l’autre ? En France, à l’heure actuelle, une femme qui déambule en niqab risque une amende de 165 euros, mais elle risque du même coup, en se pliant à cette loi, une amende de 135 euros en se présentant dans le métro sans masque. On voit là tout l’absurde de la situation.
Bien que le Québec n’aille pas aussi loin dans l’interdiction des signes religieux, la contradiction saute aux yeux ici aussi. Une pratique perçue comme néfaste au bien commun encore hier ne peut pas soudainement devenir bénéfique sans révéler une certaine discrimination sous-jacente. Une poignée de femmes voilées dans les écoles représenterait une menace, mais une cohue de travailleurs masqués dans le métro tard le soir, pas de problème ? Quand la pratique est celle d’une minorité religieuse, ça nous inquiète, mais quand il s’agit d’un comportement majoritaire, tout va bien ?
Voilà un autre examen de conscience auquel cette pandémie nous convie.
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