Il y a dix jours, François Legault
annonçait qu’il pensait rouvrir, avec la « permission de la santé
publique », la petite école. Il avait l’air heureux de sa déclaration.
L’homme, après tout, avait passé les trois dernières semaines à serrer
la vis, à restreindre toujours un peu plus nos mouvements. En bon père
de famille, il venait nous dire qu’une partie de la punition serait
levée. La réaction n’a pas tardé. Comment osait-on exposer nos enfants
de la sorte ? Le milieu de l’enseignement primaire serait ni plus ni
moins jeté en pâture !
François Legault ne parle plus de rouvrir les écoles début mai. Il affiche même un air maussade quand, inévitablement, on lui pose la question. On peut le comprendre. Avant cette sortie, il n’avait récolté que des applaudissements, de l’amour à profusion. La question des écoles indiquait, pour la première fois, une pente savonneuse, un prix politique à payer.
Cette réaction épidermique, à mon avis, n’était pas justifiée. Mais comment s’en surprendre ? Le premier ministre récoltait ce qu’il avait lui-même si bien semé. À force de nous dire de rester chez nous, de garder nos distances, de laver nos mains, de répéter que « c’est une question de vie ou de mort », le message était finalement bien entré. On a maintenant une peur bleue de déroger aux bonnes mœurs sanitaires. À Montréal, on est même (beaucoup trop) prêts à appeler la police pour dénoncer le moindre rassemblement.
C’est un signe que les prochaines étapes seront beaucoup plus compliquées à traverser que celle qui tire à sa fin. Dans sa phase initiale, la pandémie exigeait qu’on se mobilise dans une seule direction : l’urgence sanitaire. Dans le grand débat qui pend au-dessus de nos têtes depuis le début — la bourse ou la vie ? La santé ou l’économie ? —, le bon choix, la position éclairée était du côté de la santé. Il suffisait d’entendre les élucubrations de Donald Trump (« Ce pays n’a pas été créé pour être mis en arrêt ») pour le comprendre. Mais maintenant que le fameux pic a été vraisemblablement atteint et que nous entrons dans une deuxième phase, le message est forcément plus complexe. Il faut aussi pouvoir regarder devant, pas seulement ce qui nous pend au bout du nez.
Sans verser dans le délire libertarien qui s’articule actuellement chez nos voisins américains, il faut effectivement rebâtir l’économie — et bien davantage : la vie sociale, la vie normale, la santé mentale. Il y a un prix individuel et collectif à payer à vivre cloîtrés, contrôlés et épiés. Un vaccin n’étant pas pour demain, il faut maintenant procéder à une plus grande intégration des uns avec les autres afin de bâtir l’immunité collective préconisée par les épidémiologistes. Phase 2 oblige.
Comme le notait Robert Dutrisac dans un éditorial récent, la meilleure façon de stimuler cette immunité de groupe, c’est de passer par les enfants, pour qui la maladie est presque toujours bénigne. Selon le directeur de la santé publique de Sherbrooke, le Dr Alain Poirier, les enfants n’ont pas les récepteurs aux poumons que cherche le virus pour y faire son nid. Or, les cas graves et surtout mortels de la COVID-19 passent presque toujours par les poumons. Bref, il n’arrivera pas dans les écoles ce qu’il arrive aujourd’hui dans les CHSLD. Il faut savoir aussi que le risque (contenu) de contagion associé à la réouverture scolaire ne disparaît pas en le reportant. Il pourrait même être plus élevé à l’automne, une deuxième vague virale étant attendue à ce moment-là.
Il faut bien planifier tout ça, bien entendu, en plus de s’assurer d’un suivi épidémiologique minutieux. Mais a-t-on vraiment besoin de quatre mois pour repenser les plages horaires, disposer les pupitres différemment et recenser les élèves et enseignants à risque ? Le milieu de l’éducation dispose d’une abondante main-d’œuvre qui devrait vraisemblablement avoir déjà commencé à imaginer de tels accommodements.
Il faut finalement envoyer les enfants à l’école pour que les parents puissent travailler, bien sûr, mais peut-être surtout pour que les enfants puissent apprendre. J’en sais quelque chose. J’ai vécu de près l’improvisation qui a suivi la fermeture des universités à la mi-mars. Comme tout le monde, j’ai fait ce que j’ai pu : des capsules en ligne, des rencontres Zoom avec mes étudiants, des courriels à n’en plus finir. On a beau se féliciter d’avoir sauvé la mise, cela n’était pas vraiment de l’enseignement, pour paraphraser un très beau texte paru dans ces pages. Il y a peut-être des matières qui s’enseignent correctement à distance, mais ce n’est certainement pas le cas du journalisme. Et puis, quelle que soit la matière, l’ingrédient magique pour planter des idées, pour ouvrir l’imaginaire, c’est ce doigt de Dieu en chair en et en os qui touche celui de l’homme, comme dans la peinture de Michel-Ange. C’est l’ingrédient humain qui change complètement la donne.
La mer est houleuse à l’heure actuelle et risque de le devenir davantage. Il faudra beaucoup de courage politique pour nous mener à bon port.
François Legault ne parle plus de rouvrir les écoles début mai. Il affiche même un air maussade quand, inévitablement, on lui pose la question. On peut le comprendre. Avant cette sortie, il n’avait récolté que des applaudissements, de l’amour à profusion. La question des écoles indiquait, pour la première fois, une pente savonneuse, un prix politique à payer.
Cette réaction épidermique, à mon avis, n’était pas justifiée. Mais comment s’en surprendre ? Le premier ministre récoltait ce qu’il avait lui-même si bien semé. À force de nous dire de rester chez nous, de garder nos distances, de laver nos mains, de répéter que « c’est une question de vie ou de mort », le message était finalement bien entré. On a maintenant une peur bleue de déroger aux bonnes mœurs sanitaires. À Montréal, on est même (beaucoup trop) prêts à appeler la police pour dénoncer le moindre rassemblement.
C’est un signe que les prochaines étapes seront beaucoup plus compliquées à traverser que celle qui tire à sa fin. Dans sa phase initiale, la pandémie exigeait qu’on se mobilise dans une seule direction : l’urgence sanitaire. Dans le grand débat qui pend au-dessus de nos têtes depuis le début — la bourse ou la vie ? La santé ou l’économie ? —, le bon choix, la position éclairée était du côté de la santé. Il suffisait d’entendre les élucubrations de Donald Trump (« Ce pays n’a pas été créé pour être mis en arrêt ») pour le comprendre. Mais maintenant que le fameux pic a été vraisemblablement atteint et que nous entrons dans une deuxième phase, le message est forcément plus complexe. Il faut aussi pouvoir regarder devant, pas seulement ce qui nous pend au bout du nez.
Sans verser dans le délire libertarien qui s’articule actuellement chez nos voisins américains, il faut effectivement rebâtir l’économie — et bien davantage : la vie sociale, la vie normale, la santé mentale. Il y a un prix individuel et collectif à payer à vivre cloîtrés, contrôlés et épiés. Un vaccin n’étant pas pour demain, il faut maintenant procéder à une plus grande intégration des uns avec les autres afin de bâtir l’immunité collective préconisée par les épidémiologistes. Phase 2 oblige.
Comme le notait Robert Dutrisac dans un éditorial récent, la meilleure façon de stimuler cette immunité de groupe, c’est de passer par les enfants, pour qui la maladie est presque toujours bénigne. Selon le directeur de la santé publique de Sherbrooke, le Dr Alain Poirier, les enfants n’ont pas les récepteurs aux poumons que cherche le virus pour y faire son nid. Or, les cas graves et surtout mortels de la COVID-19 passent presque toujours par les poumons. Bref, il n’arrivera pas dans les écoles ce qu’il arrive aujourd’hui dans les CHSLD. Il faut savoir aussi que le risque (contenu) de contagion associé à la réouverture scolaire ne disparaît pas en le reportant. Il pourrait même être plus élevé à l’automne, une deuxième vague virale étant attendue à ce moment-là.
Il faut bien planifier tout ça, bien entendu, en plus de s’assurer d’un suivi épidémiologique minutieux. Mais a-t-on vraiment besoin de quatre mois pour repenser les plages horaires, disposer les pupitres différemment et recenser les élèves et enseignants à risque ? Le milieu de l’éducation dispose d’une abondante main-d’œuvre qui devrait vraisemblablement avoir déjà commencé à imaginer de tels accommodements.
Il faut finalement envoyer les enfants à l’école pour que les parents puissent travailler, bien sûr, mais peut-être surtout pour que les enfants puissent apprendre. J’en sais quelque chose. J’ai vécu de près l’improvisation qui a suivi la fermeture des universités à la mi-mars. Comme tout le monde, j’ai fait ce que j’ai pu : des capsules en ligne, des rencontres Zoom avec mes étudiants, des courriels à n’en plus finir. On a beau se féliciter d’avoir sauvé la mise, cela n’était pas vraiment de l’enseignement, pour paraphraser un très beau texte paru dans ces pages. Il y a peut-être des matières qui s’enseignent correctement à distance, mais ce n’est certainement pas le cas du journalisme. Et puis, quelle que soit la matière, l’ingrédient magique pour planter des idées, pour ouvrir l’imaginaire, c’est ce doigt de Dieu en chair en et en os qui touche celui de l’homme, comme dans la peinture de Michel-Ange. C’est l’ingrédient humain qui change complètement la donne.
La mer est houleuse à l’heure actuelle et risque de le devenir davantage. Il faudra beaucoup de courage politique pour nous mener à bon port.
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