« Qu’est-ce qui vous fait croire que votre approche est la bonne ? » La question posée au premier ministre, François Legault, lundi dernier, était lourde de sous-entendus ; elle contenait toute l’appréhension vis-à-vis de ce qui est perçu comme un déconfinement hâtif. À l’instar du journaliste, on peut effectivement se demander comment la province la plus touchée, comptant « 50 % des infections canadiennes, mais seulement 23 % de la population », peut se permettre une telle aventure. Alors qu’on peine à contenir le désastre que représentent les CHSLD, la réouverture prochaine des garderies et des écoles primaires peut paraître carrément effrontée.
La témérité du gouvernement Legault est d’autant plus étonnante que l’attitude politique par défaut, à l’heure actuelle, est celle de prendre le moins de risques possible. « Nous n’accepterons pas l’idée que la vie humaine soit sacrifiable », répète la nouvelle idole de la scène politique américaine, Andrew M. Cuomo. Le gouverneur de l’État de New York s’est beaucoup illustré par sa façon combative de contrer la pandémie.
Cette notion selon laquelle la vie est sacrée et que notre seule mission doit être celle de la préserver, coûte que coûte, est également implicite dans les réactions qui n’ont pas manqué de fuser à la suite de l’allusion de M. Legault à l’immunité de groupe. L’idée de laisser courir le virus sur les bancs d’école en vue de construire une certaine protection collective a été regardée de haut, c’est le moins qu’on puisse dire. « Imprudent », a tranché Justin Trudeau. « C’est jouer avec le feu », a renchéri un épidémiologiste albertain.
Depuis le début de ce cataclysme, toute attitude qui semble s’éloigner du strict point de vue de la santé — perçue comme étant celui de la science et de l’éthique (pour ne pas dire de la vertu) — est vouée aux gémonies. Voyez à quelle vitesse le Royaume-Uni a abandonné sa stratégie initiale, basée justement sur l’immunité collective. Tout se passe comme s’il y avait une bonne manière de s’acquitter de ses responsabilités et une mauvaise. Les anges gardiens, d’un côté, et les philistins, de l’autre.
C’est pourquoi il faut parler de la Suède, un cas unique dans la lutte contre la pandémie. Il s’agit du seul pays qui a refusé d’imposer des mesures draconiennes de confinement. Pourquoi ? « Il n’y a aucune science derrière la distanciation sociale, la fermeture des frontières ou encore des écoles », dit l’épidémiologiste Johan Giesecke. Certes, la logique selon laquelle moins les gens sont en contact, moins il y a de contagion est bonne. Mais l’impact exact de ces mesures n’a pas encore été démontré. « Il n’y a que le lavage des mains qui est prouvé scientifiquement », selon cet expert.
L’approche suédoise se résume donc à protéger ceux qui en ont absolument besoin, les plus vieux et les personnes vulnérables, ainsi que le système de santé lui-même. Pour le reste, on laisse le virus suivre son cours auprès de la partie de la population capable de se remettre de la maladie facilement. Selon ce qu’on en sait, le virus n’agit pas du tout de la même manière chez les plus jeunes que chez les plus âgés. Les rassemblements de plus de 50 personnes ont été interdits en Suède, mais les écoles, les bars et les restaurants restent ouverts. On ne cache pas que l’immunité collective, tout en n’étant pas garantie à l’heure actuelle, est une conséquence recherchée d’une telle approche.
L’exemple suédois nous dit deux choses importantes, à mon avis. D’abord, face à cette pandémie, il n’y a pas de science infuse. On ignore non seulement beaucoup de choses sur la maladie, on ignore comment ses effets sont calculés d’une province à l’autre et d’un pays à l’autre. On est dans la pure spéculation la majorité du temps. Tout le monde cherche la manière la plus efficace de se tirer d’affaire et il existe très probablement plus d’une façon d’y arriver. Selon le professeur Giesecke, au bout du compte, quand on aura tout compris des différents modèles, « il risque d’y avoir peu de différences entre pays ».
Ce qu’il faut surtout retenir du modèle suédois, c’est qu’il y a ici une façon de concevoir le monde, pas seulement de confronter la maladie. D’emblée, on a calculé que le strict confinement, face à une maladie généralement bénigne pour 80 % des gens, causerait « plus de tort que de bien ». La vie sociale, commerciale, la santé mentale — tout ce que nos propres dirigeants ont invoqué à juste titre comme raisons justifiant le déconfinement — a pesé lourd dans l’approche suédoise. À ces considérations, il faut ajouter la vie démocratique comme telle. Une fois que vous avez obligé les gens à rester chez eux, à faire la queue, à adopter certains comportements… « Comment descend-on d’une telle galère ? », demande M. Giesecke.
Il n’y a pas que la vie qui est sacrée en ce bas monde. Quiconque a déjà défendu le droit à l’avortement en sait quelque chose. Il y a le genre de société dans laquelle on veut vivre. On aurait tort de penser que cette vie-là, libre et démocratique, ne requiert pas elle aussi une certaine vigilance.
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