Pourquoi le féminisme — qui a changé la vie des femmes à tant d’égards — semble-t-il impuissant à contrer la violence faite aux femmes ? Le féminisme a permis aux femmes de voter, de contrôler leurs maternités, de sortir de leurs maisons, de travailler, d’être considérées comme les égales des hommes. Alors, comment se fait-il que le degré de violence demeure si élevé ?
Le tiers des femmes sont agressées physiquement ou sexuellement au cours de leur vie. Les trois quarts des femmes assassinées au Québec le sont par leur conjoint ou un homme de leur entourage. Les crimes violents sont aujourd’hui en baisse, mais, selon une étude britannique, l’agression sexuelle des femmes, elle, est en hausse. Bref, une femme aujourd’hui peut devenir astronaute, mais non sans craindre de se faire violenter à un moment ou un autre par un homme qu’elle aime. Comment ces deux choses-là peuvent-elles même coexister ?
De deux choses l’une : ou bien les femmes, malgré leur propre évolution, ont continué à fréquenter l’homme des cavernes en grand nombre ou alors, et c’est plus probable, il y a quelque chose qui se détraque à l’intérieur même des rapports intimes hommes-femmes. Pensons à Marylène Lévesque, assassinée dans une chambre d’hôtel, ou encore à la jeune Océane Boyer, trouvée morte au bord de la route. Ni l’une ni l’autre n’ont perdu la vie, comme on pouvait le croire au début, parce qu’elles se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment, mais bien, apparemment, parce qu’elles étaient, de par leur condition de femme (une prostituée, une adolescente), « vulnérables ».
La clé ici n’est pas le sexe (faible) des victimes, mais le rapport qu’elles auraient entretenu avec leur agresseur. Dans le cas de Marylène, son assassin craignait, après l’avoir fréquentée à plusieurs reprises, qu’elle s’éloigne de lui. Dans le cas d’Océane, dont les circonstances du meurtre n’ont pas été établies de manière officielle, quelle était au juste la nature de la relation entretenue avec cet « ami de la famille » présumé meurtrier ? Pour le peu qu’on en sait, cette histoire-là est particulièrement bouleversante. François Sénécal avait tout du « bon gars ». Rien, rien du tout, ne laissait présager qu’il puisse être accusé d’un meurtre aussi sordide.
Comme le répètent les responsables des maisons d’hébergement, la violence des hommes est souvent une question de contrôle. Mais est-ce vraiment le bon mot ? Est-ce une simple question de la loi du plus fort ? Le contrôle implique une part de raison alors qu’il n’y a rien de raisonnable ici. Frapper, harceler ou, à plus forte raison, tuer est tout ce qu’il y a de plus déraisonnable. Le geste ne vient pas de la tête, c’est sûr ; il vient d’un profond malaise enfoui en soi. Mais lequel ?
La meilleure explication de la violence masculine m’a été fournie jadis par un centre pour hommes violents. À cette clientèle, on fournissait une petite carte où étaient inscrites d’un côté les émotions positives (joie, enthousiasme, fierté…) et de l’autre, les émotions négatives (peur, jalousie, colère…). Pourquoi ? Parce que trop d’hommes ont de la difficulté à comprendre ce qu’ils vivent émotivement. Les émotions sont un territoire traditionnellement féminin, après tout. Un territoire mou, mal défini, qui rend vulnérable. Les hommes qui ne s’y retrouvent pas frappent, très souvent, comme pour percer le brouillard, par pure impuissance. Aveuglément, stupidement, férocement. Ils frappent par ignorance d’eux-mêmes autant que par prise de contrôle sur l’autre. La femme qui menace de quitter son homme — une situation souvent périlleuse pour elle — ne constitue pas seulement un affront au conjoint, ou à son ego. Elle représente la vie émotive qui s’en va, la vie amputée, une perte de repères considérable.
Dans la grande marche vers l’émancipation, on a toujours cru que les femmes devaient rattraper les hommes ; on n’a pas vu que les hommes auraient peut-être un jour à rattraper les femmes. Grâce aux récentes révélations sur les agressions sexuelles et les féminicides, on commence tout juste à comprendre que beaucoup d’hommes n’ont jamais cessé de voir les femmes comme leur propriété privée, une sorte d’extension d’eux-
mêmes. Publiquement, ils ne contestent pas le droit des femmes à l’égalité, mais privément, souvent inconsciemment, ils agissent comme si les vieilles règles patriarcales s’appliquaient toujours : en échange de la protection masculine, les femmes sont censées être disponibles physiquement et émotivement. C’est le plus vieux contrat social du monde et beaucoup trop d’hommes considèrent la disponibilité des femmes comme leur dû, encore aujourd’hui.
mêmes. Publiquement, ils ne contestent pas le droit des femmes à l’égalité, mais privément, souvent inconsciemment, ils agissent comme si les vieilles règles patriarcales s’appliquaient toujours : en échange de la protection masculine, les femmes sont censées être disponibles physiquement et émotivement. C’est le plus vieux contrat social du monde et beaucoup trop d’hommes considèrent la disponibilité des femmes comme leur dû, encore aujourd’hui.
Le féminisme a été impuissant à contrer la violence faite aux femmes parce que les rapports intimes ne se légifèrent pas de la même façon que les conditions de vie extérieures : la santé, la maternité, le travail. Mais aussi parce qu’on ne se doutait pas que la véritable résistance au féminisme se réfugierait au niveau personnel. On ne pouvait pas savoir que c’est au nom de l’amour que la guerre contre les femmes aurait lieu.
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