François Legault et Simon Jolin-Barrette auraient-ils une dent contre l’éducation ? Comment expliquer qu’un gouvernement qui a fait de l’immigration efficace son cheval de bataille torpille un programme qui livrait des immigrants sur un plateau d’argent ? Des jeunes déjà sélectionnés, éduqués, intégrés, parlant français dans bien des cas, enthousiastes à l’idée de vivre, de travailler et — sait-on jamais ? — de faire des enfants au Québec.
Je fais référence au Programme de l’expérience québécoise (PEQ), qui offrait aux étudiants étrangers, ainsi qu’à des travailleurs temporaires, la possibilité de s’établir ici rapidement. Le PEQ pouvait livrer en un mois ce qui prend généralement deux ans à obtenir : le fameux certificat de sélection du Québec. Une façon de dire : on est faits pour s’entendre, restez donc au Québec. Et, ma foi, ça fonctionnait. En 2018, « près de 11 000 personnes ont bénéficié du PEQ, dont plus de 5100 diplômés ». Rappelons que Montréal est parmi les villes universitaires les plus convoitées au monde et compte actuellement près de 50 000 étudiants étrangers.
J’en sais quelque chose. Comme prof de journalisme à l’Université Concordia, j’ai parmi mes étudiants des jeunes venus de partout : France, Norvège, Pays basque, Grèce, Ukraine, Égypte, Jordanie, Colombie, Mexique, Inde… Ils viennent, bien sûr, attirés par des droits de scolarité peu élevés, mais aussi pour le légendaire accueil québécois. Ils sont attirés par le Nouveau Monde et la vitalité de Montréal, un haut lieu de l’intelligence artificielle, des jeux vidéo, de la musique et de la culture. À l’âge où l’on se cherche, Montréal est un endroit tout indiqué pour le faire.
Que disait François Legault encore ? « En prendre moins, mais en prendre soin. » Pour ce qui est de trier les immigrants sur le volet et de s’assurer qu’ils aient des conditions d’intégration optimales, aucun programme ministériel ne pourrait se mesurer à celui qu’on vient ici d’abolir. Ces étudiants ne vivent ni isolés ni en ghettos, mais dans un milieu branché sur le Québec. Ils se font des amis ici, des chums et des blondes ici, et ils discutent de choses qui se passent ici. Pour ce qui est du « suivi », de s’assurer que les nouveaux venus comprennent non seulement l’endroit dans lequel ils se trouvent, mais qu’ils aient les moyens de l’apprécier, le milieu universitaire est numéro un.
Je ne leur ai jamais demandé s’ils mangeaient de la poutine ou écoutaient Fred Pellerin, mais je sais que ces jeunes baignent dans ce que le gouvernement se plaît à appeler les « valeurs québécoises ». Le milieu étudiant est particulièrement axé sur les valeurs démocratiques, dont, évidemment, « l’égalité hommes-femmes ». L’éducation est la plus grande égalisatrice des chances et la meilleure distributrice de valeurs, faut-il le rappeler Et ces jeunes, peu importe d’où ils viennent, parlent ou du moins se débrouillent en français dans 90 % des cas. Finalement, au bout d’un long apprentissage intellectuel, relationnel et sociétal, ces étudiants obtiendront un diplôme qui sera immédiatement reconnu par un employeur d’ici. Ils n’auront pas à se recycler en couturière ou en chauffeur de taxi par manque de reconnaissance de leurs études, comme il se passe trop souvent.
C’est tout ça que le ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration vient de jeter aux orties. N’auront accès dorénavant à la voie rapide que les immigrants dont l’expertise « fait partie des emplois les plus recherchés sur le marché du travail québécois ». Il faut, de plus, une expérience de travail récente d’au moins 12 à 18 moins. Aussi bien dire bye-bye aux étudiants étrangers. Mû par l’esprit comptable qu’on lui connaît, le gouvernement Legault préfère « cocher des cases » plutôt que d’encourager des jeunes diplômés à s’établir ici.
Si on avait encore à démontrer la mentalité de « vieux bleus », cet esprit de peau de chagrin reprise à la défunte Union nationale qui colle à la Coalition avenir Québec, ce penchant pour le repli sur soi, les bouts de route et l’argent sonnant au détriment de l’éducation, des idées nouvelles et de l’ouverture sur le monde, en voilà la démonstration. En plus du manque « d’humanité » envers tous ceux qui viennent de se faire montrer la porte, en plus du manque de consultation qui, encore une fois, précède ce pied de nez, que dire du manque d’envergure d’un gouvernement boudant ainsi l’éducation supérieure ? En 2019, comment est-ce même possible ?
La décision du ministre de l’Immigration n’est pas sans rappeler la désastreuse manoeuvre militaire, immortalisée dans un poème du même nom, la charge de la brigade légère. Débouté à deux reprises déjà, sur le nombre d’immigrants et le test des valeurs, le chef des opérations, M. Jolin-Barrette, opte, comme jadis un certain lieutenant-général anglais, pour la charge à fond de train. En avant, sabrons ! « Il n’y a pas à discuter / Il n’y a pas à s’interroger / Il n’y a qu’à agir et mourir », dit le poème de Lord Tennyson.
À l’absurdité de certaines opérations militaires, ajoutons l’absurdité des réformes en immigration du gouvernement Legault.
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