Malgré ce qu’en dit la célèbre maison Dior, « the new parfum » Sauvage n’est pas vraiment nouveau. Une version américanisée d’un vieux classique, Eau sauvage, grand parfum pour homme depuis 1966, la dernière trouvaille de la parfumerie Dior — « croisant la fraîcheur de la nuit » et « l’air brûlant du désert », le tout illustré par la physionomie enténébrée de Johnny Depp — est une eau de toilette pour hommes farouches qui est sur le marché depuis au moins quatre ans.
Ce qui est nouveau, c’est la controverse qui a finalement poussé la célèbre maison a retirer la plus récente publicité faite pour Sauvage, toujours incarnée par l’acteur que l’on connaît. Poussant l’inspiration du Far West un cran plus loin, délaissant le bison, utilisé en 2015, pour le danseur sioux — on connaît l’engouement des Français pour ce type de folklore américain — la pub a rapidement été accusée de sombrer dans l’appropriation culturelle. On voit pourquoi. « We are the land » (Nous sommes la terre), dit la voix de Depp au bout d’une minute de prises de vues absolument époustouflantes, dont celles du guerrier sioux se désâmant avec toute la pompe de jadis.
« The new Sauvage. The parfum Dior… », dit finalement la voix ténébreuse.
S’il y a un endroit où la notion de rapt culturel prend tout son sens, c’est bien dans ces opulentes productions publicitaires qui n’hésitent pas à détourner tout ce qui bouge — de la chute du mur de Berlin à la fonte des icebergs — pour mieux vendre une salade. L’utilisation du mot sauvage, dans un tel contexte, laisse évidemment à désirer, mais c’est surtout l’utilisation de références autochtones dans une vaste entreprise de marketing qui est ici intolérable. C’est le détournement de sens qui saute à la gorge, le fait de juxtaposer quelque chose qui a une signification profonde, la culture autochtone, à quelque chose qui en n’a pas : acheter ou pas du parfum.
À cette enseigne, la palme de l’escroquerie publicitaire revient à Pepsi qui, en 2017, mettait en scène la top modèle et star de télé-réalité Kendall Jenner réussissant l’improbable : la seyante jeune femme parvient à instaurer l’harmonie entre une marée bruyante de manifestants multiethniques et un mur de policiers antiémeute majoritairement blancs. Comment ? En offrant, au plus mignon d’entre eux, une canette de boisson gazeuse. « Si seulement Papa avait su le pouvoir de #Pepsi », ironisa sur les réseaux sociaux la fille de Martin Luther King, montrant son père se faisant malmener par un policier blanc.
L’appropriation culturelle, souvent décriée à tort lors de véritables spectacles artistiques, mérite d’être davantage dénoncée là où le bât blesse, au sein de l’industrie publicitaire. Autre chose qui mériterait d’être pointée du doigt et qui est encore trop peu critiquée à mon avis : l’utilisation de vedettes en publicité. Pourquoi donc faut-il Johnny Depp ou Catherine Deneuve pour vendre des produits Dior ? Martin Matte pour vendre des Honda, Maripier Morin des Buick et Mariloup Wolfe des Chevrolet ? Johnny Hallyday, Robert de Niro, Madonna, David Beckham, George Clooney, Nicole Kidman, Juliette Binoche… Depuis les années 1990, la liste de grands noms jouant le jeu des grandes marques ne fait que s’allonger. Déception amère à chaque fois.
Pourquoi les individus souvent les mieux payés de la planète ont-ils besoin d’encaisser une (autre) petite fortune, souvent à ne rien faire ? À tendre tout simplement la joue ou à fixer pesamment l’horizon. Johnny Depp, un immense acteur, ne joue pas dans le clip de Dior, il respire à peine. Bon, d’accord, certains affirment que l’homme est fauché. Mais comment un homme qui qualifie Hollywood de « sale cirque ignoble » ne voit-il pas, et tous ces célèbres collègues avec lui, qu’il y a un prix à payer à vendre son âme pour de la pacotille ? Aider des grands commerçants à faire encore plus d’argent en vendant des produits dont personne n’a réellement besoin. Est-ce là un enjeu le moindrement important ? Il y a quelque chose de triste à voir des gens qu’on admire momifiés de la sorte, mis en boîte de leur propre accord. Comme le dit le titre d’un essai de la regrettée Toni Morrison, repris dans un récent New Yorker Magazine, « The Work You Do, The Person You Are », le travail que vous faites n’est pas étranger à la personne que vous êtes.
Je tiens à le souligner à un moment où les critiques envers la jeune environnementaliste Greta Thunberg sévissent. Maxime Bernier, le dernier en ligne, y est allé d’un commentaire particulièrement acide cette semaine, parlant de l’adolescente comme étant « mentalement instable ». Bizarre, non, qu’on critique durement une jeune fille dévouée à une cause fondamentale alors que devant des vedettes qui se marchandisent elles-mêmes on ne trouve rien à redire ?
Au moment où l’on se parle, le monde dans lequel on vit continue à récompenser le commerce, le gros argent et le vedettariat avant toute chose. Mais, à juger du sort de la dernière publicité Dior, ça ne saurait durer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire