Signe que cette 43e élection fédérale n’est pas partie pour la gloire : les bévues — dont le français approximatif de la chanson de campagne libérale et le passé en nuances de gris de certains candidats — captivent davantage que le contenu qu’on nous propose. Il y a toujours quelque chose d’un peu assommant à se faire chatouiller le dessous du menton, jour après jour, par un chef ou l’autre, dans une surenchère incessante de bonnes nouvelles et de belles promesses. Une campagne électorale est par définition enquiquinante. Mais il y a quelque chose de particulièrement lassant, en ce qui concerne celle-ci, du fait qu’on court en faisant du surplace.
Il n’y a ni grand changement ni grand enjeu dans l’air. Ce qu’on voit, du moins pour l’instant, c’est une guerre de symboles. Tous les partis se sont retranchés sur les valeurs qui les définissent le mieux. Andrew Scheer, c’est le Canada de l’argent sonnant. « Plus d’argent dans vos poches. » Justin Trudeau, c’est le Canada à la fois cool et compatissant, admiré de par le monde. « Choisir d’avancer » (la patte légère et la main en l’air de préférence). Le contraste se veut saisissant entre le rose tendre d’aujourd’hui et le gris foncé d’hier. Jagmeet Singh, c’est la gauche au-dessus de tout soupçon, le retour en force de la conscience morale de la nation. Elizabeth May, c’est « les dernières élections avant qu’il ne soit trop tard ». L’urgence climatique sous des néons clignotants. Yves-François Blanchet, c’est Nous. Les « intérêts du Québec » boostés aux hormones. Ce sont toutes des marques de commerce bien connues.
À travers les tambours et trompettes d’usage, une note discordante, par contre : l’invective « mêlez-vous de vos affaires » plusieurs fois répétée. D’abord Yves-François Blanchet (« Le Québec sait ce qui est bon pour le Québec. Merci »), ensuite François Legault et, maintenant, qui l’eut cru, Manon Massé. Tous somment Justin Trudeau de ne pas intervenir dans le débat sur la laïcité. L’intervention de la cheffe de Québec solidaire intrigue particulièrement étant donné que, tout comme Trudeau, mais contrairement aux chefs du Bloc et de la CAQ, elle n’est pas d’accord avec la nouvelle loi. Et pourtant, dit-elle, cette loi « appartient au Québec ».
C’est d’autant plus surprenant à l’heure où, non seulement le Bloc québécois reprend du poil de la bête, mais où de plus en plus de souverainistes tentent de se faire élire sous l’enseigne fédéraliste. On en connaît au moins trois qui se présentent aujourd’hui pour des partis de l’unité canadienne. Mêlez-vous de vos affaires pendant que nous, on se mêle des vôtres ? Avouez qu’il y a une certaine incongruité, en pleine élection fédérale notamment, au moment où il est impossible d’ignorer la part d’Ottawa dans nos vies, d’inviter le fédéral à ignorer une part de la réalité québécoise. S’il s’agissait de la langue ou de la culture, on pourrait comprendre. Le français, et tout ce qui en découle, est le principe organisateur du Québec. Il ne l’est nulle part ailleurs au pays. Mais la laïcité ? Contrairement à la langue, le phénomène ne s’arrête pas aux frontières de l’Outaouais.
Les souverainistes qui retournent leur veste et les intimations à se tenir coi sont, il me semble, les deux côtés d’une même médaille : la transformation du Québec vers une troisième voie. Celle de l’autonomie avec un grand A. Après avoir été une simple province, après avoir rêvé le pays, après la mort au feuilleton d’un possible compromis, la « société distincte », après l’impossibilité de se comprendre vraiment, voici venu le temps du Groenland. De plus en plus, le Québec se comporte comme un « pays constitutif » d’un autre, un territoire autonome, ce qui a toujours été dans sa nature profonde, il faut dire. Mais aujourd’hui, avec le retour du nationalisme à la petite semaine qui ne fait plus peur mais qui se prend quand même au sérieux, cela prend une ampleur insoupçonnée.
« Le Groenland appartient aux Groenlandais », disait fameusement la première ministre du Danemark cet été, un peu à la Manon Massé, en réponse à la proposition d’achat de Donald Trump. Le Groenland jouit aujourd’hui d’une « autonomie renforcée » lui permettant d’exercer tous les pouvoirs à l’exception de la politique monétaire, la défense et la politique étrangère. La souveraineté-association, quoi, ce dont le Québec a toujours — même quand on a cessé d’en parler — rêvé. Mais, bon, le Québec n’est pas à 3000 km de distance de la terre patrie ni de culture entièrement différente. Voilà le drame et la raison de nos incessantes chicanes. Voilà pourquoi on applaudit l’intervention fédérale à un moment (SNC-Lavalin) et on la conspue l’instant d’après (femmes voilées). Il y a une certaine incohérence ici qui est tributaire de la relation en dents de scie que nous entretenons depuis toujours avec Ottawa — et de plus belle depuis 1980.
À défaut d’une « question de l’urne », ces élections nous donnent à croire que les relations fédérales-provinciales sont loin d’être au beau fixe. On a beau tenter de l’ignorer, il faudra bien rouvrir ce panier de crabes un jour.
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