Qui saurait dire si c’est l’homme lui-même qui parle ou simplement un brillant calcul politique ? Le projet nationaliste de François Legault se conjugue désormais en trois volets : laïcité, langue et bientôt culture. On attendait le cofondateur d’Air Transat sur le terrain de l’économie et des « vraies affaires », le voici en patriote born again. Bien sûr, la fierté d’appartenance de M. Legault n’a de surprise pour personne. Mais qui aurait cru que celui qui a tourné le dos à la souveraineté pour s’occuper de choses plus immédiates, disons, accoucherait, une fois élu, d’un véritable projet de société ?
Rendons à César ce qui appartient à César. À peine huit ans après avoir lancé son offensive, François Legault a réussi à s’arroger les lettres de noblesse des deux autres grands partis : l’économie (Parti libéral) et le nationalisme (Parti québécois). Redoutable exploit qui explique sans doute son impressionnante cote de popularité. Mais bien naïf qui croirait ce tour de main sans conséquence pour le Québec. On n’a qu’à voir ce qui se passe dans les écoles de Montréal : plainte d’un parent à l’égard d’une enseignante portant le hidjab, refus d’embauche d’enseignantes voilées, sans parler des écoles qui rejettent des stagiaires musulmanes, car elles risquent, malgré la pénurie d’enseignants, de ne jamais être engagées. On a beau dire qu’il s’agit de cas isolés, que tout ça va fondre comme neige au soleil, la nouvelle loi sur la laïcité a ouvert, comme dit la présidente de l’Alliance des professeurs de Montréal, Catherine Beauvais St-Pierre, « une boîte de Pandore difficile à refermer ».
Malgré la précision chirurgicale du gouvernement à préserver le plus possible le marché du travail — on reconnaît ici l’homme d’affaires — dont l’abstention pour les déjà embauchés, les CPE et les écoles privées, sans parler de laisser libre cours à la magistrature en la matière (!), la loi sur la laïcité institue la discrimination au Québec. Depuis la rentrée, nous avons désormais des cas concrets de cette discrimination devant lesquels ni la Charte canadienne ni la Charte québécoise des droits et libertés ne peuvent s’appliquer. En neutralisant les deux chartes, la nouvelle législation privilégie l’arbitraire plutôt que les droits fondamentaux. Le fait qu’un tel accroc soit limité à certaines personnes, à un certain moment de la journée, ne change rien à la faille qui vient d’être coulée ici dans le béton.
Comme le démontre la plainte d’un père vis-à-vis d’une enseignante voilée, il est permis de voir désormais une femme portant le hidjab comme une entrave aux bonnes moeurs. La loi le dit : « La laïcité de l’État exige le respect de l’interdiction de porter un signe religieux ». Le gouvernement a beau triturer sa loi à l’extrême, la découper comme un saucisson au nom de la « modération », l’esprit humain ne réfléchit pas à coup d’alinéas ou d’exceptions. Si on ne veut pas de femmes voilées dans les écoles, pourquoi en voudrait-on derrière le comptoir à la SAQ, derrière le volant d’un autobus ou dans une publicité de la Caisse Desjardins ? La loi a beau épargner ces femmes-là, elles sont déjà un peu plus suspectes, un peu moins normales, de par l’existence d’une loi qui punit d’autres femmes qui sont pourtant exactement comme elles.
En voulant mousser la fierté québécoise — « Il ne faut pas avoir honte d’être nationaliste », dit François Legault —, le projet qu’on nous propose aujourd’hui a un impact direct sur la vie de personnes — des femmes surtout — qui méritent mieux. C’est ça qui est nouveau. Inquiétant, également. Le nationalisme d’aujourd’hui a un aspect punitif, reflété également dans le « test des valeurs » qu’on veut désormais imposer aux immigrants. Le sentiment qu’il faut se conformer à un certain code de conduite pour être accepté socialement est nouveau au Québec. Du jamais vu, en fait.
On compare souvent la loi sur la laïcité avec celle sur la langue, mais le parallèle ne tient pas. Il suffit de comparer le préambule de la loi 101 et celui de la loi 21 pour le voir. La loi de 1977 parle du « peuple » québécois comprenant une majorité francophone, mais aussi des minorités dont on « reconnaît l’apport précieux au développement du Québec ». On parle également d’une loi qui « s’inscrit dans le mouvement universel de revalorisation des cultures nationales ». Il s’agit d’un nationalisme inclusif, ouvert sur le monde et sensible aux différentes ethnies. La loi 21, elle, parle de la « nation québécoise » ayant « des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique », une référence exclusive à la majorité francophone sans mention de la diversité québécoise, encore moins de son « précieux apport ». C’est un nationalisme exclusif, plutôt passéiste et peu ouvert sur le monde. Le contraire de ce qu’on connaît ici depuis 50 ans.
Loin d’être « en continuité avec la Révolution tranquille », ce nouveau nationalisme inquiète, en plus d’être sans grande pertinence pour la survie du Québec.
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