On nous dit de ne pas paniquer, de retenir les trémolos et les gros mots. La colère est malvenue, dit-on, même devant « l’urgence climatique ». Alors, soyons positifs. N’ajoutons pas au découragement ambiant et pointons calmement la lueur au bout du tunnel.
La bonne nouvelle ? Nous n’ignorons plus le monde (physique) dans lequel nous vivons. De la fonte des glaces à l’érosion des berges et aux extrêmes climatiques, nous possédons aujourd’hui une connaissance encyclopédique de l’état des lieux. Les discrets murmures des premiers avertissements (rapport Meadows du Club de Rome, Silent Spring de Rachel Carson…) se sont transformés en un perpétuel grondement impossible à ignorer. La prise de conscience a été remarquable, il faut le dire. Et puis, plusieurs esprits créatifs tentent de trouver des remèdes : de la taxe carbone à l’énergie solaire, des jardins communautaires au burger végé, les initiatives se multiplient pour tenter de pallier cette crise sans précédent.
La mauvaise, maintenant. Jamais l’humanité n’a dû contempler aussi froidement sa disparition. La crise n’est pas qu’écologique, elle est aussi morale et existentielle. Il ne s’agit pas seulement de se battre contre la pollution, le plastique ou la disparition des abeilles, mais de se battre pour notre propre survie — nous, les humains. Cette révélation, en passant, est récente ; elle s’est imposée à la suite de la léthargie désopilante des gouvernements face au réchauffement climatique. À mon avis, ça vaut bien quelques trémolos. « Vous avez volé mes rêves et mon enfance », disait, non sans raison, la jeune Greta Thunberg cette semaine à New York à l’Assemblée générale de l’ONU.
Alors que nous savons désormais des tas de choses sur notre environnement, le grand inconnu, dans ce grand bouleversement, c’est vous et moi. Au-delà de la dégradation matérielle du monde dans lequel on vit, il y a la réaction humaine face au cataclysme écologique qui s’ajoute. Serons-nous à la hauteur du défi qui nous attend ? Voilà désormais la question à laquelle Greta, comme nulle autre, nous somme de répondre.
« On ne peut qu’espérer », dit, rempli d’optimisme, Adam Frank, un astrophysicien qui étudie les différents scénarios qui nous guettent. À partir de l’examen d’autres planètes, le scientifique de l’Université de Rochester a établi trois grands modèles probables. Premier scénario, surnommé « soft landing » (atterrissage réussi) : la civilisation planétaire s’adapte aux changements climatiques, se transforme et survit. Deuxième scénario, « die off » (étiolement) : la population planétaire est réduite au minimum, détruisant toute civilisation technologique. Il y a quelque chose qui survit, mais on ne saurait dire qui ou quoi. (« C’est quand même incroyable qu’on soit encore vivants », le vers de Richard Desjardins, pourrait devenir ici un slogan). Troisième scénario, « collapse » (effondrement) : la population mondiale augmente, l’état planétaire « surchauffe » et, même si certaines mesures ont été mises en place, la population est anéantie. Plus rien d’humain ne subsiste sur la Terre.
La planète a beau s’inviter aux Nations unies, au Parlement et dans la rue, dont à Montréal vendredi, le sentiment d’impuissance est à son comble. On comprend parfaitement pourquoi. Devant l’avalanche de données dont nous disposons désormais se dresse un mur d’inaction gouvernemental tout aussi impressionnant. Aucun des engagements pris lors du Sommet de Paris, pourtant salué comme un grand pas en avant, est en voie de réalisation. Les émissions de gaz à effet de serre, plutôt que de diminuer, ont augmenté depuis deux ans. Ça fait plus de 30 ans que nous ne faisons à peu près rien, comme le soulignait notre Jeanne d’Arc devant l’ONU, et voici qu’il nous en reste seulement 30 autres pour atteindre la cible magique de zéro émission en 2050. Mais, surtout, ne nous énervons pas. Ce n’est pas parce qu’il y a urgence qu’il faudrait agir comme s’il y en avait une.
Il nous faut changer radicalement de mode de vie, changer notre façon de manger, de nous déplacer, de construire nos immeubles et, surtout, de produire et de consommer de l’énergie, et cela, en un temps record. Il faut faire ce que l’humanité n’a jamais fait auparavant : changer radicalement de direction en l’espace de quelques années. Selon le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), il s’agirait d’un « précédent historique », du jamais vu, mais continuons à prétendre que quelques demi-mesures — une taxe carbone sans véritables dents, du recyclage qui, une fois sur deux, rate sa cible — vont nous sortir du pétrin. Continuons, surtout, à construire un troisième lien et à permettre aux grands émetteurs de GES québécois, comme on vient de l’apprendre, de diminuer leurs émissions d’un dérisoire 4 % et d’être remboursés, en plus, pour ce mini-effort (!). Continuons à privilégier le court terme sur le long terme, les profits immédiats sur l’avenir de nos enfants, et voyons où tout ça nous mène.
Loin d’être malvenue, la colère est la juste mesure de tout ce qui ne va plus.