« Comment arrête-t-on ces gens-là ? »
La question est de Donald Trump, posée lors d’un récent rassemblement en Floride, le type d’événement que sa base électorale affectionne et que l’improbable président, porté par une houle de casquettes rouges (« Make America Great Again »), mange à la petite cuillère. Le démagogue en chef fait bien sûr référence aux « bandits, violeurs et trafiquants de drogue », selon sa désignation consacrée des immigrants latinos cherchant à entrer aux États-Unis. Un thème qui a certainement contribué à le faire élire en 2015 et qu’il compte bien réutiliser dans la campagne qui s’amorce.
« Abattez-les », répond une femme dans la foule.
Commande malheureusement mise à exécution le week-end dernier à la ville frontière d’El Paso par un Américain de 21 ans. Bilan : 22 morts, 24 blessés. « Je défends simplement mon pays face à une invasion ethnique et culturelle », écrit le présumé tueur dans un manifeste publié sur les réseaux sociaux quelques heures auparavant.
Donald Trump n’a évidemment pas inventé l’idéologie qui est derrière plusieurs des récents carnages. Né au lendemain de la guerre du Vietnam et rassemblant au départ des néonazis, des skinheads et des membres du Klu Klux Klan, le mouvement « white power » a connu un premier retentissement lors de l’attentat d’Oklahoma City en 1995. Malgré le fait que le terrorisme intérieur venait de faire une spectaculaire irruption (168 morts, 680 blessés), celui-ci n’a jamais été pris au sérieux par les autorités américaines. Ni à ce moment-là ni par après. À partir de l’attentat du World Trade Center, six ans plus tard, toute l’attention se portera sur le terrorisme islamique, laissant le nationalisme extrémiste blanc proliférer à son aise dans les caves humides de la nation et les coins sombres de l’Internet.
Les attentats de suprémacistes blancs qui se sont succédé, notamment depuis l’élection de Trump, dont 39 tueries commises l’année dernière seulement, ont donc été vus comme autant d’actes isolés, perpétrés par des « malades mentaux » ou, mieux encore, des « obsédés de jeux vidéo ». L’attentat d’El Paso changera-t-il la donne ? Verra-t-on enfin la violence de l’extrême droite pour ce qu’elle est ? « La plus grande menace pour les États-Unis à l’heure actuelle », selon la Anti-Defamation League. Osera-t-on enfin officialiser le lien entre la montée de cette violence et l’actuel occupant de la Maison-Blanche ?
Malgré les motivations on ne peut plus claires du tueur, malgré l’inspiration que celui-ci a manifestement puisée chez Trump lui-même, copiant souvent les mêmes termes (« invasion », « frontières ouvertes », « fake news »…), rien n’est moins sûr. Si Trump a surpris en tenant un point de presse pour dénoncer, pour la première fois, le racisme et la suprématie blanche, c’est le président en carton-pâte qui s’est présenté au podium, lundi dernier. Celui qui se contente de réciter des phrases préparées, visiblement écrites par quelqu’un d’autre. À prendre avec de grosses pincettes, en d’autres mots. Ce n’est pas un acte de contrition, c’est de l’hypocrisie. Ce n’est pas un nouveau départ pour Trump, c’est un tout petit pas en arrière pour mieux réussir la prochaine galipette.
Dites-vous bien que l’homme qui s’est contenté de rire en entendant « abattez-les » n’a pas disparu. C’est cet homme-là, après tout, celui qui traite les immigrants d’extraterrestres (« aliens »), qui admire les dictateurs et les autocrates, qui se vante d’agresser les femmes sexuellement, qui ne paie pas ses impôts, c’est bel et bien le king de la triche et du plaqué or qui a réussi l’exploit d’être élu en 2017, et qui pourrait bien réussir à nouveau en 2020. Il a beau faire grincer des dents, Donald John Trump a non seulement réussi à garder sa base et à transformer le Parti républicain à son image, il a réussi une véritable révolution culturelle.
« [Trump] est en train de redéfinir ce qu’on peut dire et la façon dont un dirigeant peut agir, dit le chroniqueur du New York Times David Brooks. Il réaffirme un vieux modèle de masculinité, celui qui, à ses yeux, mérite d’être écouté et auquel on obéit. […] Nous sommes tous un peu plus corrompus sous sa gouverne. Tout le long de cette campagne, il va se mettre, lui et ses valeurs, au centre de la conversation. Tous les jours, il va trouver un petit drame pour nous redéfinir, nous dire qui nous sommes et qui nous devons désormais haïr. »
Donald Trump est un hors-la-loi qui, loin de s’en repentir, s’en tape les cuisses. Le drame, ce qui donne régulièrement envie de brailler dans les bras de sa mère, c’est d’assister, impuissants, à ce grand-guignol. C’est de contribuer à légitimer un détournement de sens, un pillage de la démocratie, du simple fait que cet homme a été dûment élu. C’est de constater que les règles démocratiques sur lesquelles Trump crache impunément lui confèrent, ô misère, une certaine normalité. Même chassé du trône, l’effet corrosif de l’homme risque d’imprégner l’air encore longtemps.
La question à poser n’est donc pas comment on arrête l’immigration, mais bien comment on arrête Donald Trump.
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