Une jeune femme de Québec a été transformée en torche humaine, vendredi dernier, après que l’homme de qui elle a divorcé en mars, Frej Haj Messaoud, l’eut vraisemblablement allumée comme un flambeau. La scène ne sentait pas seulement l’essence, mais la vengeance à plein nez. Sans surprise, les réseaux sociaux se sont enflammés à leur tour en dénonçant un « crime d’honneur ». Le fantôme de la famille Shafia, ce couple d’origine afghane qui a noyé ses trois filles et une première épouse dans les eaux du canal Rideau en 2009, planait comme un vautour au-dessus du drame.
L’assaut, subi en pleine rue devant les deux jeunes enfants de la victime, a quelque chose de parfaitement révoltant, c’est vrai. Rappelant les attaques à l’acide, particulièrement répandues dans certains pays d’Asie et également au Royaume-Uni, c’est la punition par défiguration qui est particulièrement abjecte ici. C’est ce calcul issu de la nuit des temps, reposant sur les stéréotypes les plus tenaces, voulant qu’une femme n’ait qu’une corde à son arc : sa beauté. Si on lui enlève sa capacité de séduire, on lui enlève tout. Tu ne veux pas de moi ? Alors tu n’auras personne, tu ne seras rien. C’est l’idée qu’un homme peut réduire une femme à un tas de cendres, tout en la condamnant à vivre, qui est intolérable.
Seulement, il ne faudrait pas croire que ces crimes d’honneur, ces gestes misogynes et revanchards à souhait, sont strictement l’affaire des étrangers — notamment musulmans. On parle beaucoup des tueries de masse à l’heure actuelle, un crime dont les pays riches détiennent un quasi-monopole. Le Washington Post publiait d’ailleurs en fin de semaine, sur 12 pages, le nom de toutes les victimes américaines, 1196 en tout, de 1966 à 2019, démontrant à quel point le phénomène s’amplifie. Or, il semblerait que bon nombre de ces meurtriers de masse ont, en plus de leur sexe (mâle) et du goût des armes, une autre caractéristique en commun : le ressentiment envers les femmes.
La toute première tuerie américaine, à l’Université du Texas en 1966, celle qui donne le coup d’envoi à ce qui deviendra bientôt une réelle épidémie, a eu lieu après que le tueur eut tué sa femme et sa mère. La toute dernière, une attaque contre une mosquée en Norvège dimanche dernier, déjouée à la dernière minute par un fidèle, a quand même fait une victime : la demi-soeur du présumé tueur trouvée morte dans la maison familiale. Un ami du suspect dit que celui-ci était récemment devenu hostile envers les femmes et les immigrants. Et l’homme qui a tué neuf personnes à Dayton, en Ohio, le 11 août dernier, le dernier en lice aux États-Unis, a également abattu sa soeur dans la mêlée. Connor Betts était connu pour avoir proféré des menaces envers les femmes.
Dans plus de la moitié des 173 tueries qui ont eu lieu aux États-Unis entre 2009 et 2017, l’année la plus mortelle à cet égard, une conjointe ou une membre de la famille immédiate faisaient partie des victimes. C’est donc dire que Marc Lépine — qui n’en voulait pas seulement aux femmes qui avaient pris sa place à l’École polytechnique, mais aussi à sa mère et à sa soeur, a-t-on appris plus tard — n’a rien inventé. Il a seulement attaché le grelot avant tout le monde. En s’en prenant uniquement aux femmes, il a démontré le premier la parenté entre les tueries de masse et la misogynie. Plus d’un millier de massacres plus tard, on comprend que Lépine n’a pas choisi de cibler les femmes simplement pour mieux marquer son coup ou comme simples représailles envers le mouvement féministe de l’époque.
Si ces deux aspects ont sans doute fait partie de son calcul, la réalité est que les tueurs de masse sont par définition, tout comme les hommes qui cherchent à venger leur honneur, des hommes éconduits et en colère, des hommes narcissiques, imbus d’eux-mêmes, convaincus de mériter mieux et d’avoir été injustement traités. Ils cherchent à rétablir, sinon leur honneur, du moins leur statut d’homme fort. Dans les deux cas, il s’agit d’une « masculinité toxique », d’un machisme nauséabond qui cherche sans cesse des responsables pour ses propres malheurs, prêt à sacrifier des vies s’il le faut.
Et qui mieux que les femmes pour jouer les souffre-douleur ? Si les immigrants sont aujourd’hui de plus en plus ciblés, le contexte politique aidant, les femmes seront toujours dans la mire des tueurs de masse par leur situation stratégique. Il est toujours plus facile de s’en prendre à quelque chose de proche que de loin ; de s’en prendre au particulier plutôt qu’au général. C’est d’ailleurs ce rapport trouble avec les femmes, la misogynie latente chez une majorité de ces individus, qui explique le mieux pourquoi la quasi-totalité des tueries de masse est perpétrée par des hommes.
Après que le mouvement #MoiAussi eut exposé l’ampleur des sévices sexuels subis par des femmes, voici donc une autre démonstration de taille : les relations homme-femme, même dans les pays modernes et progressistes, ont bien des noeuds à défaire, bien des coins d’ombre encore à éclairer.
Non, les crimes d’honneur ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
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