J’étais la troisième victime de la semaine, me dit, flegmatique, le technicien de la boutique Apple. Je devais changer tous mes mots de passe, en plus d’effacer tout le contenu de mon ordinateur. Aussi bien dire, mourir un peu. Ayant une connaissance très sommaire du merveilleux monde de l’algorithme, toute excursion inusitée dans ce domaine déclenche une certaine panique en moi. Toute ma vie, comme sans doute la vôtre, est aujourd’hui tenue par le collet par le « World Wide Web » : travail, loisirs, vie personnelle. Je contemplais soudain les profondeurs abyssales du néant.
Moi qui croyais (fièrement) avoir échappé à une arnaque de 300 $ par un supposé technicien d’imprimante, j’étais en magasin pour y voir plus clair, j’apprenais que mon prestidigitateur au suave accent indien, pendant qu’il me faisait la description apocalyptique de mes bris de sécurité, de mes « logiciels malveillants », de mes piratages en tout genre, le fin finaud captait, imaginez-vous, mes contenus informatiques ! Croyant qu’il était le digne représentant de la compagnie Hewlett-Packard, dont je possède une imprimante, j’avais naïvement permis qu’il prenne contrôle de mon ordinateur. (Je sais, je sais. Où avais-je la tête ?)
« En 15 minutes, il aurait pu saisir une grande partie du contenu de votre ordi », me dit mon cool conseiller. « Si j’étais vous, je changerais aussi de numéro de téléphone. »
Comme si ça ne suffisait pas d’avoir été parmi les piratés chez Desjardins, deux fois (car deux comptes) plutôt qu’une, en plus d’un vol semblable par l’intermédiaire de Radio-Canada/CBC quelque temps auparavant, surveillée en permanence par le grand Cerbère de la sécurité financière (Equifax), bien que même le chien à trois têtes n’inspire plus tellement confiance par les temps qui courent. Me voilà royalement « hameçonnée », pour reprendre le terme employé par le département de fraude de la Caisse pop (qui m’a au passage obligée à changer de carte de guichet). En plus de tout le reste.
Oh, il pourrait m’arriver pire. Aux États-Unis en ce moment, on note une épidémie de romance scams (arnaques sentimentales). Le FBI a reçu pas moins de 18 500 plaintes de personnes (presque toutes déposées par des femmes, mettons un 100 $ là-dessus) qui ont été bernées par des individus prétendant être des soldats en mission, photos de patriotes tatoués à l’appui. Le tout se passe sur Facebook qui compte pas moins de 120 millions faux comptes (en tout genre) en circulation à l’heure actuelle. Les victimes auraient perdu 372 $ millions de dollars US dans cette combine, une augmentation de 71 % depuis 2017.
Certains jeunes Nigérians sont morts de rire. Une enquête du New York Times a relié plusieurs de ces correspondances frauduleuses à ce pays africain où la combinaison de la pauvreté, de l’accès facile à l’Internet et de l’anglais pave la voie au commerce interlope. Il serait tentant de voir la chose comme une espèce de revanche du tiers-monde : les déshérités de la terre profitant des deux grands fléaux de ce monde — la solitude et l’ignorance en matière informatique — pour combler leur fin de mois. Mais le problème est beaucoup plus large.
Vous avez vu qu’après les trois millions de membres piratés chez Desjardins, six millions de Canadiens viennent de subir le même sort aux mains de Capital One ? C’est sans parler des piratages à Bell Canada, CBC, Uber, la chaîne hôtelière Marriott et j’en passe. Des piratages qui ont été faits de l’intérieur, pour la plupart. Sans parler de l’effronterie de Facebook qui a vendu à des tiers, sans permission, les données de milliers de ses membres. À l’heure actuelle, il est facile d’imaginer que tout le monde va y goûter à un moment donné. Ce n’est qu’une question de temps avant qu’on soit tous « hameçonnés » car le ver est non seulement dans la pomme, mais il en fait également intrinsèquement partie.
Ce qui fait la merveille de la révolution numérique — la notion d’un village global infiniment connecté où l’information circule plus aisément que l’eau des rivières et où chacun (en principe) peut venir s’abreuver, s’inventer des histoires, se monter une business, donner son opinion, se sentir moins seul — porte flanc également à tous les excès. Sa facilité, sa gratuité, le fait que par définition il n’y a pas de barrières à l’Internet, que tout est possible et que tout le monde est bienvenu, expliquent pourquoi, au sein de ce village global, les bandits pullulent et les autorités se tournent les pouces. Prenez la sanction de 5 milliards $US dont vient d’écoper Facebook pour son manque de sécurité. L’amende peut paraître salée, mais pas pour cette institution devenue, littéralement, le nombril du monde, et dont les profits équivalent à ce montant aux trois mois. En l’absence de nouvelle réglementation vis-à-vis d’Internet, la mesure équivaut à un soufflet, guère plus.
Nous ne sommes pas prêts à remettre en question le fonctionnement des géants du Web, de peur de devoir renoncer au rêve d’un monde au bout des doigts et aux possibilités infinies. Mais ça ne peut plus continuer. J’ai eu ma leçon. À quand la vôtre ?
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