La tension, pour l’instant, est faible. Rien à voir avec le supplice d’il y a 29 ans qui, des deux côtés des barricades, a marqué les esprits. Pas de Warriors mohawks ou de jeunes soldats canadiens à l’horizon. Pas d’ultimatums. Pas de routes ou de ponts bloqués. Pas de mort, surtout. La volonté d’éviter une autre crise d’Oka est, Dieu merci, évidente.
Et pourtant, le maire d’Oka, Pascal Quevillon, refuse de s’excuser pour des propos jugés « inappropriés », le chef de Kanesatake, Serge Simon, hausse le ton — « Je n’ai pas d’affaire à m’asseoir avec la municipalité [pour les questions territoriales] à ce point-ci », dit-il — et la réunion tant attendue entre le maire, le chef, et le gouvernement fédéral se fait bien sûr attendre. Qu’on le veuille ou non, les propos se durcissent, les lignes se tracent dans le sable, le suspense dure. On demeure inquiets.
Le plus étonnant dans tout ça ? Ce n’est pas que le maire d’Oka se plaigne des « cabanes à cigarettes », ni que le chef mohawk se plaigne de « racisme ». Les deux ont un peu raison. Le plus étonnant, c’est que 29 ans après la plus importante crise autochtone au pays, celle qui nous a fait comprendre que les revendications territoriales étaient ici pour rester, rien n’est encore réglé. Sans parler du fait que l’affaire traînait depuis plusieurs siècles déjà. Si la pinède d’Oka est aujourd’hui le grand symbole de la résistance autochtone, c’est précisément parce qu’elle incarne une promesse territoriale jamais honorée. Et ça fait 300 ans que ça dure.
On est en 1717. Les Sulpiciens sont en réalité les propriétaires de l’île de Montréal et ont l’intention de déménager les Mohawks, installés à Saut-au-Récollet, dans leur nouvelle « mission », celle de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes, cadeau tout récent du roi de France. C’est la deuxième fois que les Mohawks sont sommés de déménager.Ils sont bons joueurs. Les Mohawks traînent leurs pénates sur la rive nord avec la promesse qu’ils pourront, cette fois, devenir propriétaires des terres. À la demande des Sulpiciens, ils vont même jusqu’à planter des cèdres, ce qui explique leur attachement à la pinède d’Oka bien des années plus tard. Le hic c’est qu’ils n’accéderont pas à la terre promise.
En 1840, les Sulpiciens se mettent à vendre des lopins de terre à des colons blancs. Les Mohawks vont se retrouver minoritaires sur le territoire qu’ils habitent depuis plus d’un siècle et le territoire, lui, de plus en plus morcelé. Les Mohawks de Kanesatake sont parmi les rares communautés amérindiennes au pays vivant éparpillés plutôt que dans un espace concentré. Aux Affaires indiennes, on considère qu’il s’agit de la situation territoriale « la plus difficile » au Canada. Ce qui explique certains délais dans les négociations, sans doute. Mais 29 ans d’attente ? On a marché sur la Luneen à peine huit ans.
Tout ça pour dire qu’on peut regarder les cabanes à pot et n’y voir que du feu, comme le font certains résidents d’Oka. C’est déprimant à l’oeil, c’est sûr, sans parler des éléments criminels impliqués. On peut déplorer le manque de cohésion de la communauté de Kanesatake et ses incessantes luttes intestines, également. On peut regarder la situation par le petit bout de la lorgnette et grincer un peu plus des dents. Ou on peut la regarder par le grand bout, avec un certain recul historique, et comprendre qu’il va falloir faire plus que simplement interdire la vente de cigarettes et de pot dans l’ex-domaine des Sulpiciens. Il va enfin falloir honorer certaines promesses.
Il faut que les Mohawks de Kanesatake deviennent maîtres chez eux. La réconciliation tant souhaitée avec les Premières Nations, où qu’elles se trouvent, n’aura pas lieu sans leur accorder plus d’autonomie. Un concept que le Québec est bien placé pour comprendre. Les négociations gagneraient d’ailleurs en efficacité, à mon avis, si le tout était du domaine provincial plutôt que fédéral. On n’aurait pas à se demander constamment qui de la GRC ou de la SQ devrait prêter main-forte sur les réserves — et puis voir les deux corps policiers s’en laver les mains. Des ménages à trois sont par définition difficiles ; dans le cas qui nous occupe, c’est une confusion de plus. Mais, bon, c’est un combat pour un autre jour.
Dans l’immédiat, il faut assurer la cohésion territoriale de Kanesatake et le fédéral est, pour l’instant, mieux capable de le faire. Ottawa s’est porté acquéreur de ce qui restait des terres sulpiciennes en 1945 et a continué d’acheter des terrains depuis. On se demande d’ailleurs pourquoi c’est un développeur immobilier et non le gouvernement fédéral qui, le premier, a offert une parcelle de terre aux gens de Kanesatake. À lui, donc, d’agir, en commençant par le financement d’une police autochtone, comme le réclame le grand chef Simon. Par respect pour leur autonomie, d’abord, et puis parce qu’on a tous intérêt à ce que la paix et l’ordre règnent dans cette communauté.
Il n’y a rien de simple dans une situation qui pourrit depuis si longtemps. Mais peut-être doit-on commencer par comprendre d’où l’on vient pour mieux voir où l’on va.
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