Qu’il mérite le mot « génocide » ou non, le sort des Autochtones est une tragédie incommensurable qui dure depuis trop longtemps. Les milliers de femmes disparues ou assassinées sont l’exemple patent d’un problème qui semble ne jamais se résorber. On voudrait tous que ça cesse. On voudrait que le colonialisme éhonté qui a présidé à la fondation de ce pays n’ait jamais existé.
On voudrait aussi pouvoir enfin avancer, pas toujours répéter les mêmes choses en ce qui concerne la question amérindienne. Oui, le racisme est toujours présent, la rafle d’enfants autochtones encore fraîche dans les mémoires, mais, globalement, ni la population blanche ni celle des Premières Nations ne sont au même point qu’il y a 50, 100 ou 200 ans. Le problème le plus répandu aujourd’hui n’est plus celui de vouloir éradiquer la culture amérindienne, de « tuer l’Indien », mais bien celui de l’indifférence.
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C’est cette culture de l’indifférence que les auteurs du rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ont vraisemblablement voulu secouer en mettant les poings sur la table, non seulement en invoquant un génocide, mais en déposant pas moins de 231 recommandations et en rappelant, sur 1200 pages, à peu près tout ce qui s’est dit sur la question autochtone. Une chatte y perdrait ses petits tellement le labyrinthe est profond et les notions, parfois contradictoires. On peut douter de la sagesse d’une telle offensive — une avalanche de concepts, mais très peu d’analyse — d’autant plus que notre indifférence ne découle pas d’un manque d’informations théoriques, mais bien d’un manque de connaissances pratiques.
Si nous sommes trop souvent indifférents à la réalité autochtone, ce n’est pas qu’on n’en parle pas, mais plutôt qu’on ne la voit pas — mis à part quelques tristes exemples égrenés comme un chapelet sur les rues des grandes villes. De façon générale, nous vivons éloignés les uns des autres, dans des communautés séparées qui ne professent ni tout à fait les mêmes valeurs ni la même organisation sociale et politique, comme le rappelle le rapport lui-même. Cet apartheid qui, à l’origine, a été décrété par la Loi sur les Indiens (1876) est aujourd’hui revendiqué par bon nombre d’Autochtones eux-mêmes. Chaque fois qu’on discute de la possibilité d’abolir cette loi inique, ce relent par excellence de colonialisme, des voix s’élèvent pour maintenir le système de réserves en place malgré l’isolement, le manque criant d’écoles et l’absence de ressources et d’argent.
Vu la façon dont les Autochtones ont été traités, on peut bien sûr comprendre le besoin de se lover loin des regards désobligeants, protégés par le seul coin de terre qui leur reste. Mais on ne peut pas faire comme si la mentalité de colonisé, l’héritage le plus pernicieux du colonialisme, ne faisait pas aussi partie du problème. C’est précisément une des lacunes du rapport, qui montre peu d’appétit pour examiner ce qui ne tourne pas rond à l’intérieur des communautés elles-mêmes, malgré l’avertissement d’au moins une participante. « Je pense que nous devons vraiment tenir compte du fait qu’il n’y a pas d’équilibre dans nos communautés », dit Fay Blaney.
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