Une session parlementaire, seize nouvelles lois, deux bâillons et quelques excuses plus tard, quel bilan peut-on faire du gouvernement Legault ? Mis à part un manque d’appétit pour les débats d’idées et un certain désintérêt pour les travaux parlementaires, la surprise de ces derniers mois a été François Legault lui-même. Succédant aux Philippe Couillard, Jean-François Lisée et Pauline Marois, des chefs qui pouvaient donner l’impression d’être déconnectés des choses simples de la vie, M. Legault, sans artifice ni prétention jamais, a eu l’air, sinon d’un courant d’air frais, du moins reposant.
Le chef de la CAQ bénéficie d’un gros avantage : voici un homme qu’on a envie spontanément d’aimer. Le fait qu’il soit capable d’admettre ses torts n’est pas étranger à ce capital de sympathie. Excuses bien senties à l’endroit de l’agronome Louis Robert, mais aussi à l’endroit de Manon Massé — après avoir fait une blague sur des « poils » que son adversaire aurait laissés dans la soupe. Incontestablement « mononcle » sur les bords, ce côté rustre alimente, en fait, la popularité du PM auprès des couches « populaires » tout en amenuisant son côté plus machiavélique auprès des autres. Il s’agit d’une caractéristique qui, curieusement, a plutôt bien servi François Legault jusqu’à maintenant.
Mais il n’y a pas que la bonhomie du premier ministre qui distingue le début de règne caquiste. Derrière les tapes dans le dos et les références constantes à la « fierté retrouvée », il y a une autre réalité qui se dessine. Celle d’un Québec cassé en deux. Non pas entre riches et pauvres, comme le voulait la formule jadis, ni même entre gauche et droite — beaucoup de progressistes appuient, après tout, l’interdiction des signes religieux —, encore moins entre fédéralistes et souverainistes.
Découlant principalement des débats autour de la loi 21, cette nouvelle division sociale tient à des visions diamétralement opposées du Québec. Pour les partisans de la loi sur la laïcité, le Québec a non seulement le droit mais le devoir d’affirmer sa différence, dont la préséance des droits collectifs sur les droits individuels. Interdire les signes religieux aux employés de l’État serait ni plus ni moins que la continuation de la Révolution tranquille. Quoi de plus noble ?
Seulement, pour ceux et celles qui s’opposent à l’interdiction des signes religieux, il s’agirait, au contraire, d’un geste qui trahirait l’esprit de la Révolution tranquille. En tournant le dos à la notion d’une « nation québécoise inclusive », née jadis pour porter à flots le rêve indépendantiste, l’interdiction des signes religieux nous ramènerait en arrière plutôt qu’en avant.
Dans un texte magistral publié dans Le Devoir (« L’échec d’une nation québécoise »), Louis Balthazar explique comment la transition de simples Canadiens français à fiers Québécois s’est faite à la suite d’une nouvelle conception de « l’appartenance collective ». À partir des années 1960, la survie du Québec ne reposait plus sur le repli sur soi, mais bien sur l’ouverture sur le monde. « Il fallait donc apprendre à vivre avec les anglophones et les immigrants. […] Il fallait surtout apprendre à dialoguer avec des personnes qui paraissaient étrangères à notre société et les inclure dans notre conception du Québec moderne. » Être Québécois voulait dire être maîtres chez nous, avec toutes les responsabilités qu’un tel statut impose.
Selon le politicologue, le véritable exploit de la Révolution tranquille tient moins à la « laïcisation tranquille » de ces institutions qu’à cette nouvelle conception de nous-mêmes en tant que majorité capable de gérer nos rapports avec les minorités, de façon juste et responsable. Or, la loi interdisant le port de signes religieux ainsi que le désir de ce gouvernement de restreindre l’immigration, sans parler du sort réservé aux chauffeurs de taxi, renvoient à des temps décidément plus frileux, vers un nationalisme pur laine suspicieux de l’apport étranger. « Nous sommes redevenus des Canadiens français », de conclure Louis Balthazar.
Les contestations judiciaires qui ont été déposées sitôt la loi 21 adoptée sont justement symptomatiques de cette dégradation de la cohésion sociale au Québec. Menées par l’étudiante en éducation Ichrak Nourel Hak, une musulmane québécoise qui porte le hidjab, avec l’appui de l’Association canadienne des libertés civiles et du Conseil national des musulmans canadiens, elles renvoient au temps d’avant la loi 101 où anglophones, immigrants et francophones se lorgnaient comme chiens de faïence. Loin de pouvoir « passer à autre chose », nous voici donc revenus à nos vieilles solitudes et à nos incompréhensions respectives. Une perspective qui ne manquera pas de réjouir les plus retors parmi nous, voyant dans la reprise de vieilles chicanes un moyen de revamper la ferveur souverainiste.
C’est un bien mauvais calcul. L’idée voulant que l’avenir du Québec puisse se construire en favorisant le « tous pareils » plutôt que le « tous ensemble » est un leurre. Un leurre qui a d’ailleurs déjà coûté cher au Parti québécois et qui pourrait avoir la peau de la Coalition avenir Québec.
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