« Les policiers et le Barreau du Québec boudent la consultation sur le projet de loi 21 », annonçait-on la semaine dernière. Nous voilà à la pleine croisée des chemins sur la laïcité, un débat qui fait pâlir ceux sur l’indépendance, le libre-échange, la prostitution, l’environnement ou même l’appropriation culturelle, les couteaux n’ayant jamais été aussi aiguisés ni la polarisation aussi forte, et, pourtant, ni le Barreau du Québec ni la majorité des corps policiers seront présents.
Si les absents ont toujours tort, que dire d’organismes voués à la « protection du public » et à la « primauté du droit » qui hésitent à venir discuter d’une législation qui, non seulement les concerne directement, mais risque de créer des remous ? Serait-ce la peur de faire davantage de vagues ? D’indisposer un gouvernement nouvellement élu ? Le manque de temps ? Ou simplement le fait qu’à l’intérieur de leurs propres rangs, il est impossible d’y voir clair ?
La difficulté d’obtenir un consensus explique d’ailleurs l’absence de deux autres invités, la Fédération des travailleurs du Québec et la Fédération des directions d’établissement d’enseignement qui, à l’instar des Québécois eux-mêmes, se retrouvent parfaitement divisées. « Nous n’avons pas de position sur le port des signes religieux, explique Atïm Léon, conseiller politique de la FTQ. Il a été impossible de nous entendre. »
Au Barreau du Québec, on m’assure qu’il « n’y a pas de malaise », mais en refusant par ailleurs toute discussion sur le sujet. « Il n’y aura pas d’autres commentaires », dit Hélène Bisson, directrice du service des communications. L’organisme considère avoir déjà fait son chemin de croix une première fois au moment de la commission parlementaire sur le projet de loi no 60 (Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement), en décembre 2013 ; et une seconde fois au moment du dépôt du projet de loi 62 (Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements religieux dans certains organismes), en 2016. Dans la lettre envoyée à la Commission des institutions expliquant son refus de comparaître, le Barreau du Québec renvoie au mémoire et à une lettre produits à ces occasions, en s’en tenant à quelques observations byzantines sur des questions de droit.
La liberté de conscience et de religion comporte deux aspects interreliés, écrit-on d’entrée de jeu, « l’un positif et l’autre négatif ». Le droit pour un individu de « professer ouvertement ses croyances » (positif) et, parallèlement, le droit de « ne pas se voir contraint par l’État d’adhérer à une religion particulière » (négatif).
Est-ce vraiment crucial à souligner ou simplement une façon de souffler le chaud et le froid sur une question controversée ? La question se pose. Les deux autres notions soulignées dans la lettre du Barreau démontrent aussi le même penchant à aborder la question avec de grosses pincettes. On mentionne le fait que « la liberté de conscience et de religion n’est pas un droit absolu ». On peut le restreindre, en d’autres mots, donnant ici raison au gouvernement Legault, tout en ajoutant que celui-ci doit pouvoir justifier un tel geste. Finalement, le Barreau mentionne l’utilisation des dispositions de dérogation en précisant qu’il s’agit d’un « choix politique » qu’il incombe au gouvernement, encore une fois, d’expliquer. L’aspect juridique d’une telle manoeuvre est complètement passé sous silence.
Pourtant, la lettre dit également : « L’interdiction des signes religieux telle que décrite dans le projet de loi no 21 est, à notre avis, une atteinte aux droits et libertés fondamentales des chartes canadienne et québécoise. » C’est la petite bombe déposée, mine de rien et sans explication plus avant, parmi quelques paragraphes passablement plus ambigus. Pourquoi le Barreau ne se sent-il pas le même devoir qu’il y a cinq ans, face à la charte des valeurs du gouvernement Marois ? Le mémoire déposé à cette occasion se voulait une défense minutieuse et sans ambiguïté des libertés fondamentales. Pourquoi ne pas venir expliquer, au moment justement où une loi nous pend au bout du nez (ce n’était pas le cas en 2013), les dérapages possibles d’une telle législation ? Pourquoi le Barreau abdique-t-il le rôle qu’il revendique pourtant dans sa lettre, celui de promoteur de la primauté de droit ?
Mystère. En ce qui concerne les quatre corps policiers qui ne se présenteront pas devant la commission parlementaire, le mystère est moins opaque. Selon ceux à qui j’ai réussi à poser des questions, la Fédération des policiers municipaux et le Syndicat des constables spéciaux du gouvernement québécois notamment, les policiers sont largement d’accord « avec la position Bouchard-Taylor ». En d’autres mots, ils sont déjà disposés à la neutralité vestimentaire et ne se sentent pas particulièrement concernés par le projet de loi 21. À l’Association des directeurs de police, on souligne par ailleurs certaines contradictions dans l’actuel projet de loi, dont l’exemption de l’École de police de l’interdiction des signes religieux. Après l’exemption des écoles privées, voilà une autre incongruité de taille.
On sait combien le gouvernement Legault est pressé d’en finir avec la laïcité. Mais devant autant d’absences et d’approximations, pense-t-on vraiment clore le débat de sitôt ?
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