Dominic Champagne et les jeunes auront finalement réussi à percer le mur du son qui les empêchait d’atteindre l’oreille de François Legault. Au terme d’un conseil général sur la question de l’environnement, le PM n’a pas seulement paru convaincu, dit l’initiateur du Pacte pour la transition, mais aussi, pour la première fois, « convaincant ». Alléluia. Assisterions-nous à la fécondation in vitro d’une politique (enfin) viable sur la réduction des gaz à effet de serre ? « Les sceptiques seront confondus », répond le nouveau maître de la bonhomie au Québec. (Ce qui, convenons-en, est un cran au-dessus de « on verra ».)
Après la communauté des affaires, ce sont les parents d’enfants d’âge scolaire, sans oublier les femmes, les francophones de souche, les environnementalistes et les jeunes, qui s’ajoutent maintenant à la catégorie d’électeurs que la CAQ veut, en théorie, satisfaire. Ce désir manifeste d’être le gouvernement de « tous les Québécois » n’inclut malheureusement pas tout le monde. Les anglophones et les immigrants sont manifestement les mal-aimés du gouvernement à ce jour. Je reviendrai sur les anglophones, mais place, pour l’heure, à cette classe d’immigrants que nous connaissons tous : les chauffeurs de taxi.
Plaignons-les. L’étude du projet de loi no 17, qui les concerne, sur le « transport rémunéré de personnes par automobile », est restée dans l’ombre du projet de loi, beaucoup plus discuté, sur la laïcité. On en a peu entendu parler. Ensuite, ce projet de modernisation du taxi est une tape dans le dos des rois du transport par application mobile, Uber et Lyft, et un pied de nez aux milliers de chauffeurs de taxi, des gens qui ont toujours « payé leur dû à la société québécoise », qui risquent aujourd’hui de se retrouver Gros-Jean comme devant.
En abolissant le système de permis de taxi et en offrant de compenser seulement 50 % de l’argent investi par quelque 8000 chauffeurs dans une certification soudainement désuète, le gouvernement crible de dettes bon nombre d’entre eux. « Qui va payer la banque ? », demande un des porte-parole des chauffeurs, Abdallah Homsy. Rappelons que le gouvernement du Québec contrôle l’émission et le nombre de permis depuis 1973, une « gestion de l’offre » qui, en limitant la concurrence, permettait à ceux qui font du taxi d’en vivre plus ou moins décemment. Rappelons aussi que la grande majorité des chauffeurs sont des immigrants, travaillant de 6 à 7 jours par semaine, de 12 à 18 heures par jour ; tout un bail, mais apprécié néanmoins par ceux qui ne trouvent pas (autre) chaussure à leur pied.
Fut un temps, donc, où le gouvernement cherchait à protéger ces travailleurs de l’ombre. Les temps ont bien changé. Le même jour où un chauffeur de taxi faisait une tentative de suicide devant les caméras de TVA, la mise en bourse de Lyft partait en trombe — l’un et l’autre événement agissant comme un énorme panneau réclame de notre époque, repu du désespoir des sans-statut, d’une part, du triomphalisme des nouveaux seigneurs de la haute technologie, de l’autre.
Tout en disant vouloir « uniformiser » le système de transport automobile, c’est précisément ce « deux poids, deux mesures » que le projet de loi no 17 vient alimenter. Du côté du taxi traditionnel, non seulement un permis n’est plus nécessaire pour les propriétaires de véhicules, mais les chauffeurs eux-mêmes n’ont plus besoin de permis de conduire 4C ni de plaque d’immatriculation spéciale, ouvrant la porte à une concurrence sans limites. Prétendant vouloir éliminer les coûts et la paperasse aux gens du taxi, le gouvernement va même jusqu’à éliminer « l’inspection mécanique annuelle obligatoire ». Celle-ci serait exigée seulement si l’âge de la voiture, le nombre de kilomètres ou une plainte de la part d’usagers l’exigent.
Mais à quoi sert toute cette déréglementation sinon à dérouler un tapis rouge aux Uber et aux Lyft de ce monde tout en jetant en pâture les vieux routiers de l’industrie du taxi ? Pourrait-on imaginer soumettre les producteurs de lait, protégés eux aussi par la gestion de l’offre, à traitement aussi injuste ? Poser la question, c’est y répondre.
L’aplaventrisme face à la Silicon Valley laisse finalement bouche bée. En plus de balayer la réglementation du revers de la main, le projet de loi no 17 entérine la « tarification dynamique » des applications mobiles, impliquant des fluctuations de prix parfois insensées. Uber et Lyft qui, malgré leur attrait sur papier, n’ont pas encore réussi à rentabiliser leur entreprise, utilisent ce stratagème pour renflouer leurs coffres, mais sans en faire bénéficier leurs chauffeurs pour autant. Un trajet à l’aéroport de San Francisco peut coûter par exemple jusqu’à 145 $, alors que le chauffeur Lyft, lui, ne reçoit que 33 $. Et c’est sans parler de la « culture toxique » (harcèlement sexuel, discrimination raciale…) dont Uber, lui, s’est rendu coupable.
Tant qu’à vouloir repenser l’industrie du taxi, est-ce vraiment la voie à suivre ?