mercredi 24 avril 2019

L'écodéprime

Mais que donc faudra-t-il ? Quelle urgence climatique, quelle nouvelle donnée, quel personnage charismatique, quelle trouille inédite attend-on encore avant de bouger ? Combien de fois devra-t-on lire « l’effondrement de notre civilisation et la disparition d’une grande partie du monde naturelle sont à l’horizon » avant de se sentir non seulement « concernés », comme nous le répète inlassablement la classe politique, mais clairement mobilisés ? Combien d’inondations, d’incendies de forêt, de plastique dans l’océan, de rapports scientifiques ou de manifestations dans les rues ?
On comprend Dominic Champagne d’avoir la mèche un peu courte par les temps qui courent. Plus de 270 000 signataires du Pacte pour la transition, c’est très bien, mais il en faudrait six fois plus pour que nos gouvernements se sentent enfin obligés d’agir. La force de « la majorité » semble avoir un effet boeuf sur François Legault en particulier.
Comment d’ailleurs ne pas remarquer la relative torpeur qui subsiste vis-à-vis de l’environnement devant les passions enflammées qui s’expriment à l’égard de la laïcité ? Comment expliquer qu’une situation éminemment plus urgente, plus branchée encore sur notre bien-être collectif, les bouleversements climatiques, n’inspire ni la même fougue ni la même obstination à légiférer ?
C’est beaucoup plus facile de regarder derrière que devant, faut croire. Pour bon nombre de Québécois, la laïcité est un legs de la Révolution tranquille, le symbole par excellence du progrès accompli. Plus « hot » que la survie de la langue française au moment où l’on se parle, l’absence de religion semble devenue le gage par excellence de la modernisation du Québec.
Soit. La laïcité nous permet de bomber le torse. L’environnement, tout le contraire. On a beau se féliciter de vivre au pays de l’énergie propre, Hydro-Québec n’a pas d’abord été conçue comme un projet environnemental, mais bien comme une entreprise économique — tout comme l’énergie « sale » de l’Alberta, d’ailleurs. Au Québec comme au Canada, la réduction de GES est devenue une espèce de farce plate, les transports routiers augmentent, les VUS se multiplient, le fameux troisième lien entre Québec et Lévis est en voie de réalisation et les industries pétrolière (au Canada) et gazière (au Québec) continuent comme si de rien n’était.
Pour pousser le bouton de l’écodéprime bien au fond, ajoutons que la seule grande initiative politique à ce jour, la taxe carbone, bat de l’aile. On pensait avoir enfin trouvé une solution à l’exploitation massive des ressources naturelles en y rattachant un coût, le prix de la pollution qu’elle entraîne, une notion qui a d’ailleurs été récompensée par le prix Nobel en économie récemment. Mais plutôt que de décourager l’utilisation du pétrole, la taxe carbone n’a réussi qu’à irriter les consommateurs, à enrager les moins bien nantis et à enflammer les troupes conservatrices. Le pétrole, ce n’est pas des choux de Bruxelles, découvre-t-on. On n’est pas prêt à s’en passer parce que soudainement c’est plus cher.
« Malgré la crise existentielle posée par les changements climatiques, beaucoup de gens sont davantage préoccupés par les problèmes créés par la solution proposée que par le bouleversement environnemental lui-même », explique le chroniqueur du New York Times David Leonhardt.
Et tant pis pour la responsabilité collective, l’avenir de la planète et la capacité de regarder nos enfants dans les yeux. Les êtres humains façonnent leur compréhension de l’univers à partir de leur expérience immédiate, nous disent les experts en comportement. Un vieux truc de survie appris dans la savane africaine. Nous sommes congénitalement centrés sur nous-mêmes, en d’autres mots, capables, certes, de regarder derrière et de se féliciter des bons coups, mais très peu devant. Nous avançons à coup de récompenses immédiates et de renforcements positifs. Ce qui explique pourquoi la réflexion écologique se détourne de plus en plus de la réduction de gaz à effet de serre, nécessaire à notre survie, pour se tourner vers l’adaptation pure et simple aux changements climatiques. La science et la haute technologie finiront bien par nous tirer du pétrin, sérénade-t-on.
On s’enfonce dans l’aveuglement volontaire plutôt que de bouger. La belle affaire. Que faire devant un tel immobilisme ? Les inventeurs du thermostat intelligent ont eu une bonne idée pour souligner cette année la Journée de la Terre. Ils ont invité 20 individus peu convaincus de l’urgence climatique à une séance d’information tout en faisant grimper la température jusqu’à 100 degrés Fahrenheit dans la pièce. L’astuce eut l’effet escompté. Plusieurs qui voyaient auparavant la crise écologique comme un simple discours moralisateur et/ou partisan conclurent qu’il faudrait peut-être bien agir.

Faudra-t-il imposer le même traitement aux politiciens pour qu’ils passent enfin aux actes ?

mercredi 17 avril 2019

La langue de chez nous

Depuis 11 ans qu’on l’attend, le Rapport sur l’évolution de la situation linguistique au Québec effraie et console à la fois. Il effraie par « l’indifférence » des plus jeunes vis-à-vis du bilinguisme croissant tout en rassurant sur l’efficacité de la loi 101. Les allophones, qu’on se le dise, sont de plus en plus francophones. Le fait d’envoyer leur progéniture à l’école française — à 89 % en 2015 c. 20 % en 1976 — explique en grande partie pourquoi les nouveaux arrivants parlent de plus en plus français à la maison, dans l’espace public et aussi au travail.
Si les immigrants et anglophones de souche prennent du galon pour ce qui est de la langue de chez nous, les jeunes francophones, eux, en perdent. Les 18-34 ans sont peu enclins à s’offusquer du fameux « bonjour-hi » qui pend au cou de Montréal comme une cloche à une vache, ou même à le remarquer. (Ce sont ces deux petits mots qui nous avertissent que nous sommes dans la métropole québécoise et nulle part ailleurs). Ils sont également moins nombreux à travailler exclusivement en français que les 55 ans et plus.
Sans l’épeler en toutes lettres, le rapport révèle surtout que le Québec a entamé une nouvelle étape de son évolution linguistique. Après la longue phase du repli sur soi, les années Maria Chapdelaine, disons, où la défense de la langue passait par une population tissée serrée, protégée à la fois par la terre et par l’Église, nous sommes passés aux années Camille Laurin, des années de combat visant à faire du français la langue des affaires, du gouvernement et des immigrants.
Arrive maintenant ce qu’on pourrait appeler les années compliquées, les années de la mondialisation et des réseaux sociaux, où rien n’est noir ou blanc, où le repli sur soi agit encore dans plusieurs régions éloignées, tout comme les mesures de promotion du français agissent toujours à Montréal mais où, surtout, les vieilles règles ne suffisent plus à protéger contre l’anglicisation. Pour la bonne et simple raison que l’anglais n’est plus extérieur à nous — il est désormais en nous. Comme le dit une célèbre bédé (Pogo), « nous avons vu l’ennemi, et il est nous ».
Il fut un temps où les jeunes francophones, même montréalais, refusaient d’apprendre l’anglais ou de le parler. On se faisait un devoir de ne pas céder un pouce devant la botte du maître. Aujourd’hui, l’attitude, certainement chez les plus jeunes, n’est pas de faire un bras d’honneur à l’impérialisme anglo-saxon, mais plutôt de conquérir de plus vastes horizons. Une donnée du rapport illustre cette nouvelle attitude à merveille : plus on est scolarisés au Québec, moins le temps de travail se passe en français. Les francophones très scolarisés se rapprochent en fait des allophones pour ce qui est du fait d’utiliser le plus souvent le français au travail : 60 % contre 56 %.
Toute la complexité dans laquelle on baigne aujourd’hui se trouve dans ces deux facteurs en apparence contradictoire : éducation et acculturation. Pourtant, il ne s’agit ni d’ignorance vis-à-vis des enjeux linguistiques, ni, à mon avis, d’un manque de fierté vis-à-vis du français. Il s’agit plutôt du désir, qui vient justement avec l’éducation, de ne pas être réduit à une seule dimension. D’embrasser plus large, de voir plus haut. Il était inévitable qu’on arrive un jour à se buter le nez contre les murs qui jusqu’ici nous ont protégés, de la même façon qu’un enfant finit toujours par enjamber les barreaux de son lit. Devenus grands, nous voyons plus grand.
Le problème n’est donc pas tant le bilinguisme comme tel — Jacques Parizeau ne disait-il pas vouloir « botter le derrière » à quiconque ne parlerait pas anglais ? —, mais davantage l’attitude qui se cache derrière. Sans nier les nouveaux obstacles que sont Netflix, le commerce en ligne et la mondialisation, et la vulnérabilité accrue du Québec devant de tels béhémoths, ce nouveau chapitre de la défense de la langue devra passer par chaque individu tout autant que par l’État québécois. Dans un monde éclaté, les mesures étatiques ne suffisent plus ; il faudra aussi compter sur la vigilance individuelle.
La vigilance dont je parle tient à une seule chose : le besoin de défendre quelque chose qui nous définit profondément. À ce titre, je ne crois pas à la supposée indifférence des jeunes vis-à-vis de la langue. Certes, les plus jeunes ont tourné le dos à « la survivance », perçue comme le combat des plus vieux. Ils ne veulent plus jouer à la police et on les comprend. Mais rien ne nous dit que ces mêmes jeunes ne sont pas profondément Québécois, comme d’ailleurs le souligne un sondage Ipsos. Et qu’est-ce que d’être Québécois sinon de vivre dans une langue et une culture uniques en Amérique du Nord ? Ni la laïcité ni l’égalité hommes-femmes, dont on parle tant, ne sont des marques distinctives québécoises. Mais la langue de Miron, de Vigneault et de Desjardins, et la culture qui en découle, oui, absolument. Comment les jeunes, même les yeux rivés sur de vastes cieux, pourraient-ils l’oublier ? Le Québec, eux aussi, ils l’ont dans la peau.

mercredi 10 avril 2019

Laïcité et féminisme

Un grand pas en faveur de l’égalité, le projet de loi sur la laïcité ? Ou, au contraire, un geste qui infantilise et discrimine les femmes ? Parmi toutes les oppositions qui se dressent actuellement au sujet du projet de loi 21 — anglophones c. francophones, Montréal c. les régions, jeunes c. aînés, immigrants c. vieilles souches —, ajoutons celle-ci : féministes c. féministes. Une polarisation où les grincements de dents sont souvent à leur paroxysme.
Je suis de celles (surprise !) qui voient d’un mauvais oeil le projet de loi. Bien sûr, toutes les religions discriminent les femmes, mais il est trompeur de présenter la laïcité comme un allié solide de la cause des femmes, comme l’affirme l’ex-présidente du Conseil du statut de la femme Christiane Pelchat. Ceux qui ont été au-devant de la séparation de l’Église et de l’État, les patriotes au Québec et le Parti radical en France, se sont au contraire opposés au vote des femmes, le premier grand maillon de la révolution féministe. Dans un cas comme dans l’autre, on ne faisait pas confiance aux femmes, dont on pensait qu’elles n’allaient pas voter du “bon côté”. C’est ce qui explique, d’ailleurs, pourquoi les Françaises ont obtenu le droit de vote plus tard encore (1944) que les Québécoises (1940). Le Sénat français, dominé non pas par des hommes en soutane mais par des hommes de gauche, redoutait le côté conservateur des femmes. Bref, on ne les considérait ni suffisamment éclairées ni suffisamment progressistes pour avoir voix au chapitre.
Ça ressemble drôlement à ce qui se passe aujourd’hui, non ? Les arguments féministes en faveur du projet de loi — servis tant par les hommes que par les femmes, le Québec n’ayant jamais été aussi féministe que depuis que l’on discute du voile — invoquent immanquablement le fait que les femmes voilées ne bénéficient pas d’un véritable libre arbitre, ou alors font le jeu de l’obscurantisme islamiste. Comme jadis, on considère que ces femmes nous ramènent en arrière plutôt que vers l’avant. On les assimile à un stéréotype existant, celui de la femme dépourvue de sens politique, du sens du monde moderne ou de la capacité de reconnaître ce qui est bon pour elles. On s’en tient au symbole, celui de la pauvre dévote, plutôt que de prendre en compte la réalité ici et maintenant, en regardant ce que ces femmes ont réellement dans la tête.
Sans nier que le voile islamique cadre mal avec une certaine modernité, il est loin de l’émancipation sexuelle telle qu’on l’a connue, et sans nier non plus que personne au Québec ne souhaite un retour du religieux, il faut cesser de transposer ce qui n’est pas transposable. Le voile imposé dans une théocratie islamiste où les femmes adultères sont condamnées à mort et le voile porté ici, dans un pays démocratique reconnu pour ses mesures progressistes, ne sont quand même pas équivalents. L’Algérie n’est pas le Québec. Et puis, quel pays conçoit ses lois en fonction de ce qui se passe ailleurs plutôt que sur son propre territoire ?
« Ce qui est inacceptable », dit la féministe musulmane française Rokhaya Diallo, « c’est la contrainte, et non le vêtement ». C’est le fait que les femmes dans les pays islamistes sont traitées comme des êtres inférieurs qui est proprement révoltant, et non le fait qu’une minorité d’entre elles ont choisi, en s’établissant ici, de marquer leur différence en portant un voile.
C’est le respect de la différence et du libre arbitre, après tout, qui démarque les démocraties des dictatures. C’est ce qui fait notre force. Or, comment justifier le fait que, sans dérive religieuse notoire, sans crise évidente, sans même un seul cas connu, disent les syndicats enseignants, de prosélytisme dans les écoles, nous nous apprêtons à notre tour à dicter à des femmes (en majorité) quoi porter ? Ce qui est le propre de la religion et des systèmes politiques qui s’en inspirent, rappelons-le.
Encore une fois, il est possible de voir le voile comme un marqueur d’inégalité entre les hommes et les femmes. Mais à ce titre, que dire des jupes ? Conçues, dit la sociologue Colette Guillaumin, pour « maintenir les femmes en état d’accessibilité sexuelle permanente ». Ou les talons hauts ? Essayez donc de courir en escarpins. Beaucoup des vêtements féminins, souvent conçus par des hommes, comportent un sous-texte : celui de maintenir les femmes dans un état de vulnérabilité. Si on laisse les femmes aujourd’hui se réapproprier à leur guise toutes ces parures, pourquoi pas les musulmanes portant le voile ?
Bien sûr, la connotation religieuse fait peur, alors que les petites tenues sexy ne font que plaisir. Mais encore faudrait-il que ces peurs soient justifiées. J’ai tenté de démontrer qu’elles ne l’étaient pas. Empêcher même une infime minorité de femmes de disposer de leur corps comme elles l’entendent — le b.a.-ba du féminisme contemporain — est non seulement une injustice à leur égard, mais affaiblit le concept même de liberté.

mercredi 3 avril 2019

La tour de Babel

Comment en sommes-nous arrivés là ? Comment sommes-nous parvenus à nous crier des bêtises (Valérie Plante n’est pas seule à devoir endurer ça) sur un sujet qui a été réglé il y a 60 ans ? Comment nous, Québécois, connus pour notre grande cohésion sociale, en sommes-nous rendus à ne plus comprendre la même chose quand on parle de signes religieux, de droits fondamentaux, de féminisme ou de neutralité de l’État ?
Lorsqu’un premier ministre se sent obligé de jouer le bon papa en nous rassemblant à ses genoux — « parce qu’au Québec (voyez-vous, les enfants), c’est comme ça qu’on vit » —, admettez qu’on sent être tombés bien bas. Je ris ici pour ne pas pleurer. En fait, je me gratte surtout la tête de la même façon qu’on a pu se la gratter face à l’élection de Donald Trump. Il y a quelque chose ici qui dépasse l’entendement ou la simple partisanerie gauche-droite. Quelque chose qui ressemble à une dérivede démocratie, à un pourrissement de la politique qui pourrait ne pas être transitoire, qui pourrait nous affecter encore longtemps.
Je ne dis pas que François Legault est Donald Trump. Je crois que le premier ministre est véritablement amoureux du Québec et soucieux de vouloir l’améliorer ; Trump, lui, n’a d’yeux que pour son nombril. Seulement, avec le projet de loi sur la laïcité, on se sent soudainement enfermés, comme avec l’impayable président, dans une tour de Babel où noir veut dire blanc et où le faux l’emporte sur ce qui est généralement accepté comme vrai. On se sent devenir un peu fous, en d’autres mots.
Tenez, cette phrase du premier ministre : « Il faut être clair : la laïcité ne va pas à l’encontre de la liberté de religion ! » C’est pertinemment faux. Sinon, quelle raison aurait-on d’invoquer la disposition de dérogation ? Des milliers de gens, des enseignantes aux avocats de l’aide juridique — on met le paquet ici pour tenter de faire oublier la véritable cible, les femmes voilées — seront traités comme des citoyens de seconde catégorie à cause de leurs croyances religieuses. Ce n’est ni « respecter la liberté de religion » ni traiter tout citoyen également, deux principes supposément garantis par le projet de loi.
Cette grossière affirmation tient du sophisme, comment expliquer un tel dévoiement de sens autrement, voulant que les porteurs de kippa, de turban et de voile n’ont qu’à se départir de leurs ornements au travail. On ne les empêche pas de croire, seulement de s’afficher. Mais c’est encore une fois travestir les principes garantis par les chartes. Le droit de pouvoir exercer sa religion dans son sous-sol n’est pas un droit. C’est de la répression. C’est précisément pour permettre à la liberté de s’exercer, à l’encontre même de celle de la majorité, que les chartes de droits sont nécessaires.
Alors, comment sommes-nous arrivés là ? Une partie de la réponse tient au mépris entretenu par bon nombre de Québécois vis-à-vis de la charte canadienne, perçue comme un « coup de cochon » de la part de Trudeau père. Peu importe que le Québec ait adopté, dès 1975, sa propre charte, considérée à l’époque comme un « acte fondateur » et « le symbole des valeurs de la société québécoise ». La signification de ces documents précieux et combien nécessaires au fonctionnement démocratique a été ultimement bousillée par la guéguerre Québec-Ottawa. On peut en faire aujourd’hui de la bouillie pour les chats, comme vient de le faire le gouvernement Legault, parce qu’il y a longtemps que les droits individuels sont vus comme tels. Il est temps de repenser une telle méprise.
Une certaine mythologie est à l’oeuvre aussi pour ce qui est de la disposition de dérogation. On voudrait nous faire croire qu’y avoir recours est sans conséquence, on en aurait maintes fois fait l’usage au Québec, oubliant de spécifier que dans la majorité des cas, il s’agissait de renforcer un droit existant. Non pas de l’affaiblir. Il n’y a qu’une occasion qui peut se comparer à la situation actuelle : l’application de la loi 101. Mais, encore une fois, on omet de préciser, comme l’a fait le professeur de philosophie Jocelyn Maclure récemment, que les restrictions imposées à l’anglais étaient « nécessaires à l’atteinte de l’objectif visé », celui de faire du français la langue dominante. Alors que la laïcité, elle, n’a que faire de telles restrictions. La neutralité, c’est dans la tête — des individus comme du législateur — que ça se passe.
Finalement, on en arrive là, à dicter à certains leur habillement et leur conduite (dont 90 % sont des immigrants) parce que depuis dix ans, nous avons travesti l’inquiétude millénaire que nous avons de disparaître en la hantise de l’Autre. À partir de quelques incidents malheureux, montés en épingle par médias et politiciens confondus, nous avons transposé sur ceux qui nous font le plus peur — les musulmans en l’occurrence — nos vieilles peurs à nous.
C’est à partir de cette angoisse viscérale devenue aujourd’hui préjugés endurcis qu’on nous propose cet « accord historique ». Mais il n’y a d’historique, ici, que la confusion qu’il nous impose.