« La vérité, c’est que le Parti québécois a cessé d’attirer et de se renouveler. »
Remercions la députée (désormais indépendante) de Marie-Victorin, Catherine Fournier, qui, à défaut d’offrir une véritable analyse du problème, force un regard plus soutenu sur la débandade péquiste. Malgré les aveux de responsabilité de Jean-François Lisée — « Je suis bien l’homme qui a conduit le grand parti de René Lévesque à la plus grave défaite de son histoire » — et le bilan de campagne « sans tabous » des députés péquistes après les dernières élections, rien de très percutant ne semble être sorti de ces examens de conscience. On verra bien ce qui émergera du conseil national prévu dans dix jours. En attendant, pour avoir cru, moi aussi, en René Lévesque, et applaudi à sa capacité de nous relever collectivement le menton, voici ma propre liste de ce qui est en train de « tuer le PQ ».
L’Histoire (avec un grand H). Né dans la foulée de la Révolution tranquille et béni par la présence de grands esprits (Lévesque, Bourgault, Parizeau…), le parti avait à ses débuts quelque chose de proprement révolutionnaire dans sa vision émancipatrice du Québec. Cinquante ans plus tard, rongé de l’intérieur par l’obsession du « bon gouvernement », dénué d’un idéal qui lui soit propre, contemplant un Québec qui n’a vraiment plus rien à voir avec celui des années 1960, le PQ souffre affreusement de la comparaison entre hier et aujourd’hui. Le contraste entre ce qu’il représentait à l’époque et ce qu’il représente aujourd’hui est, comme les photos de votre tendre jeunesse, insupportable. Aucun autre parti n’a eu à se mesurer autant à la mythologie qui a donné naissance au Québec moderne que le Parti québécois.
Que le PQ soit, comme le dit Jean-François Lisée, associé à la défaite n’aide sûrement pas. Mais, en réalité, ce n’est pas tant la défaite que ce que le parti en a fait qui le hante aujourd’hui. L’échec de 1980 a ouvert la porte à l’idée de compromis (le bon gouvernement), idée qui deviendra fixe avec le temps. Déjà, on troquait la vue panoramique pour la lucarne du bungalow. Cette approche plus pragmatique eut par ailleurs l’avantage d’instaurer par la porte d’en arrière ce que la souveraineté promettait par la porte d’en avant : la protection du français, la promotion du Québec inc., la fierté de nous-mêmes et la confiance en l’avenir.
On a beaucoup dit que René Lévesque nous avait donné l’indépendance sans pourtant la réaliser. C’est vrai, mais c’est aussi ce qui tue, en partie, le PQ aujourd’hui. Il a participé lui-même à sa propre obsolescence tout en étant incapable de conquérir de nouvelles frontières.
La défaite de 1995 a été bien plus dévastatrice encore. Le poison dont parle Jean-François Lisée a très peu à voir avec le penchant des médias pour les mauvaises nouvelles. Ce qui empoisonne le PQ aujourd’hui remonte aux paroles prononcées par Jacques Parizeau le 30 octobre 1995. Sa malheureuse allusion aux « votes ethniques » a non seulement planté la graine de la division, elle a sonné le début du nationalisme frileux et du débat identitaire. La charte des valeurs proposée par le gouvernement Marois, des années plus tard, n’est rien d’autre que la pousse issue de cette même semence, une tentative, là encore combien maladroite, de planter son drapeau en reprochant aux Autres de ne pas être suffisamment comme « nous autres ».
Le début de cette lente saignée au sein du parti commence donc là. Cet étonnant repli sur soi — tout le contraire de ce qu’était Jacques Parizeau ou de ce qu’annonçait le PQ au départ — a fait fuir d’abord les communautés culturelles, ensuite les jeunes, et finalement, la charte faisant déborder le vase, les progressistes de tout acabit. N’ayant jamais voulu regarder cette réalité en face — d’abord par respect pour M. Parizeau, ensuite par engouement pour cette nouvelle « stratégie » identitaire —, le parti est aujourd’hui mal placé pour comprendre que ces dérapages ne sont pas de simples erreurs de parcours. Pour tous ceux et celles qui ont cru au « grand parti de René Lévesque », il s’agit bel et bien d’une trahison. Un sentiment tenace qui ne disparaît pas avec la dernière trouvaille électorale. On ne se remet pas de s’être senti poignardé dans le dos.
Une autre chose qui sape la capacité du PQ à rebondir ? L’orgueil. J’ai consacré tout un film (Monsieur) à essayer de comprendre comment un homme de la stature de Jacques Parizeau avait pu trébucher aussi dramatiquement le soir du référendum. Sans s’excuser, s’entend. Car bien sûr, tout le monde s’enfarge. Mais une erreur politique de cette envergure, à un moment aussi crucial, sans jamais tenter de l’effacer ? M. Parizeau, un peu comme Jean-François Lisée aujourd’hui, a cru suffisant de tomber sur son épée, sans pour autant admettre ses erreurs de parcours. Sans mea culpa. Le rideau est tombé, n’en parlons plus. L’honneur de l’homme est sauf, mais le dommage au parti, lui, est d’autant plus persistant qu’il n’a jamais été clairement identifié.
À force de détourner le regard, le ver s’est non seulement infiltré dans la pomme, il a fini par en manger les trois quarts.
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