Le cap des 100 jours derrière lui, François Legault reprend le collier à l’Assemblée nationale la tête haute et les mains sur le volant. Sans parler d’une popularité en hausse. Le PM semble avoir trouvé une formule magique en canalisant la force de chacun de ses prédécesseurs : un penchant pour l’économie, comme les libéraux, mais sans oublier l’âme sensible (et toujours humble) des Québécois, selon la spécialité péquiste. On aurait cru le PM syntonisant la voix de René Lévesque, cette semaine, quand il a souhaité vouloir ramener « la fierté d’être Québécois ».
Il n’y a pas à dire, M. Legault sait s’y prendre. Sauf quand vient le temps d’aborder l’environnement. Les deux grosses pelures de banane qui ont récemment ponctué le parcours du gouvernement soulignent éloquemment cette lacune. Un chef de gouvernement réellement convaincu de « l’urgence d’agir », les mots prononcés lors de son discours inaugural, aurait-il nommé à l’environnement une personne aussi désemparée que MarieChantal Chassé ? Sans parler de la réouverture du Mont-Tremblant aux motoneigistes, l’engagement ferme envers un 3e lien (« la ligne de coke ») entre Québec et Lévis, l’élargissement des autoroutes 30 et 50 et le prolongement des autoroutes 13 et 19.
Le transport est le principal coupable des émissions de gaz à effet de serre, faut-il le rappeler. Entre 1990 et 2016, la hausse de GES dans le transport routier au Québec a été de 52 % — exactement le contraire de ce que visent les engagements environnementaux pris lors du sommet de Paris. Comment s’étonner alors que le gouvernement Legault refuse de s’engager « à respecter les cibles de réduction de GES prévues pour 2020 » ? Un autre signal du peu de cas que fait le nouveau gouvernement de l’environnement.
Mais rien ne souligne le cafouillage de l’actuel gouvernement à cet égard davantage que le congédiement de Louis Robert du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Après avoir dénoncé en interne l’ingérence du secteur privé dans la recherche sur les pesticides, l’agronome, au service du ministère depuis 32 ans, s’est tourné vers Radio-Canada afin d’alerter le public. Radio-Canada et Le Devoir avaient d’ailleurs révélé, un an plus tôt, « une crise sans précédent dans la recherche publique en agronomie », mais sans ébranler les colonnes du temple pour autant. Devant la rigidité du ministère, peut-on critiquer M. Robert d’avoir alerté le public de la manière la plus efficace et la plus directe possible ?
Depuis ce congédiement, toute l’attention porte sur la responsabilité du nouveau ministre, André Lamontagne, alors que l’essentiel est ailleurs. Comme Thomas Gerbet et Sarah R. Champagne le révélaient déjà en mars 2018, il y a quelque chose de pourri au royaume de l’agriculture. Le problème s’appelle CEROM (Centre de recherche sur les grains), une organisation dont 68 % du budget provient de fonds publics, mais dont le conseil d’administration « est entièrement dominé par le privé ». Une partie des recherches du CEROM vise à réduire l’utilisation de pesticides, mais c’est précisément là où le bât blesse. La direction, ouvertement favorable aux pesticides, tente d’orienter les recherches en faisant pression sur les chercheurs et en n’acheminant pas les informations pertinentes au ministère. « Une chercheuse a même subi des pressions sur son cellulaire personnel de la part d’une grande multinationale vendeuse de pesticides qui avait été mystérieusement informée de ses recherches et de son numéro de téléphone. »
Les études, ici comme ailleurs, démontrent que l’utilisation de pesticides « tueurs d’abeilles », les néonicotinoïdes, ont peu d’effet sur la production du maïs (0,5 %) et aucun sur la production de soya. Mais l’industrie des pesticides fait, on le voit, tout ce qu’elle peut pour convaincre les producteurs de grain du contraire. C’est ce scandale que Louis Robert — dont « la feuille de route après 32 ans est irréprochable », de dire le président du Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec, Richard Perron — a tenu à dénoncer.
Que diable son « manque de loyauté », invoqué dans sa lettre de congédiement, vient-il faire là-dedans ? Comme si, devant quelqu’un qui vous pointe la lune, on n’aurait d’yeux que pour le doigt disgracieux. L’accent mis ici sur la forme, plutôt que sur le fond, est à pleurer et laisse présager deux problèmes de taille pour le gouvernement Legault. D’abord, une incapacité au sein du MAPAQ de confronter l’industrie privée. Une note interne au sous-ministre signalait, dès 2017, que le CEROM est « une organisation contrôlée par des intérêts incompatibles avec l’intérêt public ». Pourtant, rien ne semble avoir été fait. La loyauté d’un employé ne devrait-elle pas alors aller du côté de la science et du public plutôt que d’un employeur peu porté sur la transparence ?
Ultimement, ce cafouillage au ministère de l’Agriculture démontre un mépris profond pour l’environnement. Il révèle aussi la vraie nature du gouvernement à cet égard : une de laisser-faire plutôt que de gestes ambitieux et nécessaires. La fierté devra patienter.
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