L’amour intéresse tout le monde, mais les obligations légales qui en découlent, c’est tout le contraire. C’est une des raisons pour lesquelles la réforme du droit familial québécois, malgré un plan directeur déposé il y a trois ans déjà, attend toujours qu’on s’y intéresse vraiment. Après tout, qui jubile à l’idée de voir l’État se mêler de la conduite de deux personnes qui s’aiment ? Souvenons-nous des cris d’orfraie qui ont accueilli la loi sur le patrimoine familial en 1989. La bonne nouvelle, c’est que la dernière réforme offre une approche moins paternaliste que par le passé, en plus d’adapter le droit familial au goût du jour. Voici donc pourquoi il faudrait s’y mettre — et vite.
Présidée par le juriste Alain Roy, cette nouvelle réforme ouvre un troisième grand chapitre dans l’évolution du droit familial au Québec. Le premier chapitre, inspiré du code Napoléon (1804) et mis en place au Québec dès 1866, consacrait évidemment le droit des hommes. C’est l’ère où « la société conjugale ne pourrait subsister si l’un des époux n’était pas subordonné à l’autre ». Devinez lequel. Afin de « protéger la famille », les femmes mariées n’ont pratiquement aucun droit. Il faudra attendre 100 ans pour que le règne du père monarque commence à jeter du lest, grâce au bill 16 de Claire Kirkland-Casgrain (1964) qui abolira, notamment, l’obligation d’obéissance des femmes à leur mari.
Mais c’est seulement 20 ans plus tard que le droit familial s’ouvre résolument à la modernité. En 1981, c’est un deuxième grand chapitre, sous l’égide des femmes cette fois, qui commence. Désormais, « les époux en mariage ont les mêmes droits et les mêmes obligations », dit la loi 89. À partir de ce moment, les femmes ont le devoir de garder leur nom de fille, ne sont plus perçues comme dépendantes financièrement de leur mari et les tâches ménagères se conjuguent (du moins en théorie) à deux, égalité des sexes et femmes sur le marché du travail obligent. La nouvelle loi reconnaît également ce qui était toujours perçu comme contraire aux « bonnes mœurs » : l’union de fait. Les couples « accotés » sont encore très minoritaires au Québec, mais on cherche ici à légitimer les enfants nés d’unions libres. Les « bâtards » sont désormais chose du passé.
À partir de 1981, il y a donc deux façons de conjuguer le couple, mais l’intérêt du législateur est d’abord et avant tout de rendre le mariage — synonyme pendant si longtemps de dépossession et de soumission au féminin — plus acceptable pour les femmes. La loi péquiste, plus axée sur les torts à réparer que sur le futur à prévoir, tente surtout de corriger l’appauvrissement de ces dernières à la suite d’une séparation ou d’un divorce. La loi sur le patrimoine familial scellera, un peu plus tard, cette volonté de dédommager les femmes pour leur travail familial en exigeant une répartition systématique des biens après rupture. Pour tous ceux qui n’aiment pas l’idée de partage obligatoire, eh bien, il y a toujours l’union libre, une case laissée essentiellement vide par le législateur, ne comportant ni obligation mutuelle, mais ni protection non plus.
Près de 40 ans plus tard, où maintenant en sommes-nous ? D’abord, l’union libre a explosé au Québec : 40 % des couples la choisissent, le double d’ailleurs au Canada. Le fait que beaucoup plus d’enfants naissent de ces unions-là (près de 62 %) démontre d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un accommodement temporaire, mais bien d’un système parallèle parfaitement viable et, visiblement, de plus en plus populaire. Aujourd’hui, le futur nous a donc rattrapés. En plus de l’union libre, le maelström amoureux inclut des mariages gais, des familles reconstituées, des couples qui choisissent de se marier à 70 ans et des mères porteuses. Sans oublier l’autonomie financière grandissante des femmes. Ce sont elles aujourd’hui, tout autant que leurs conjoints, qui s’opposent à un partage forcé de leurs biens et économies. « Cette réforme a été pensée avec ma fille en tête alors que la dernière a été faite pour ma mère », résume celui qui a présidé la réforme, Alain Roy.
Aujourd’hui, la grande majorité des conjoints sont autonomes financièrement jusqu’au jour où surviennent les enfants. La nouvelle réforme propose donc de baser le droit de la famille non pas sur le statut conjugal, mais sur le statut parental, une révolution juridique en soi. « Les parents d’un enfant commun seraient mutuellement tenus à certaines obligations l’un envers l’autre, peu importe qu’ils soient mariés ou en union de fait. » Obligations vis-à-vis de l’enfant, mais aussi vis-à-vis du parent qui aurait été désavantagé financièrement à cause du temps consacré à la famille. Pour le reste, la nouvelle réforme mise sur « l’autonomie et la liberté contractuelle des conjoints ». C’est-à-dire qu’il laisse à chacun, marié ou simplement en union libre, le choix de souscrire, ou pas, à des obligations mutuelles.
« Le droit familial cherchera toujours à protéger les plus vulnérables », dit Alain Roy. Après l’ère du pater familias, puis celle des femmes, voici celle des enfants et de l’autonomie partagée. La réforme brille surtout par ses positions beaucoup mieux adaptées à la réalité d’aujourd’hui et beaucoup moins interventionniste que par le passé. À quand la loi ?
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