Comme pour mieux effacer la bourde de Denise Bombardier à l’endroit des francophones hors Québec, les réactions au pied de nez du gouvernement Ford à l’égard des Franco-Ontariens ne se sont pas fait attendre. Il y a un bail, en fait, qu’on n’avait pas senti une telle solidarité vis-à-vis de nos « right fiers » frères et soeurs dans la survivance. Mais ne nous emportons pas trop vite. On a beau rappeler un grand et « même combat », ce lyrisme décrit assez mal nos réalités respectives. Il y a un demi-siècle après tout que les francophones d’ici et d’ailleurs vivent sur deux voies parallèles. J’en sais quelque chose, je suis moi-même Franco-Ontarienne (d’origine). J’ai vécu la francophonie à la petite cuillère (minoritaire) et la francophonie à grand déploiement (majoritaire). Croyez-moi, ce n’est pas du tout la même chose.
Je me souviens de ma mère qui, plutôt que de payer une contravention rédigée uniquement en anglais, choisissait parfois de faire de « la prison ». Une Jeanne d’Arc dans l’âme, direz-vous, comme d’ailleurs bon nombre des milliers de gens qui, contre toute attente, maintiennent le pourcentage de francophones hors Québec à peu près au même niveau depuis 20 ans : ils sont environ 4 % de la population canadienne aujourd’hui. Le vrai miracle, en fait, il est là. Car tout se passe en anglais quand on est à ce point minoritaires comme francophones. Ce qui se passe en français dépend uniquement de votre volonté, de votre tête de cochon, de votre capacité à détonner avec l’entourage immédiat, ou alors de vivre replié sur vous-même.
Tant mieux s’il existe une commission scolaire francophone ou, ô miracle, un hôpital pour soutenir les efforts, mais, règle générale, la survie dépend bien davantage de la capacité individuelle de chacun de vivre un dédoublement constant — le français en privé, l’anglais en public — et de trouver non seulement un certain équilibre là-dedans, mais un sentiment d’identité dans le fait de vouloir, malgré tout, continuer à parler en français dans des conditions franchement déplorables. Parce qu’il faut bien se le dire, les services, quand ils existent, ne font pas le poids pour les minorités francophones. La (seule) librairie a moins de livres, la radio (si même elle existe) est moins bonne, les enseignants sont moins nombreux et les classes moins variées. L’Université francophone de l’Ontario, si jamais elle est remise sur les rails, avec son budget dérisoire de 20 millions, ne sera jamais un choix axé sur la qualité de l’éducation – pour ça, il y a York et l’Université de Toronto —, mais bien axé sur un choix identitaire.
Les francophones hors Québec ne vivent pas une situation linguistique « normale ». C’est la grande différence avec la francophonie québécoise et, dans une certaine mesure, acadienne, qui, toutes deux, bénéficient d’une masse critique suffisante pour créer une ambiance, une culture, une communauté tissée serrée et des institutions qui, toutes, bonifient le quotidien tout en assurant la survie. La résistance ici est collective et largement inconsciente, alors que pour les poignées de francophones à travers le Canada, elle est individuelle et rarement facile.
Et puis, il y a la politique dans tout ça. Avant même que René Lévesque ait malencontreusement parlé, dans une entrevue à la CBC en 1968, de « dead ducks » en référence au statut précaire des francos hors Québec, allusion qu’il a tenté d’atténuer par la suite mais trop tard, les francophones hors frontières avaient bien compris qu’ils seraient toujours vus de haut par la maison mère. Avant cette rupture diplomatique, donc, les états généraux du Canada français avaient marqué le coup avec l’adoption, en 1967, du « droit à l’autodétermination du Canada français ».
Cette résolution a rapidement dressé un mur entre ceux suffisamment nombreux et autosuffisants pour pouvoir échapper un jour à la domination anglaise, le Québec francophone, et ceux, tous les autres, qui n’auraient jamais d’autre choix que de vivre agrippés aux jupons du gouvernement fédéral, seule instance capable d’offrir, grâce à sa Loi sur les langues officielles et, plus tard, sa Charte des droits, un minimum de protection. Avec les années, le Québec est ainsi devenu de plus en plus souverainiste et les minorités, elles, comment s’en surprendre, de plus en plus fédéralistes, voire libérales. Deux voies parallèles étanches, je le répète.
Aujourd’hui, la souveraineté n’est plus ce qu’elle était, le sentiment de supériorité québécois (sauf exception), non plus. Et les crises linguistiques se succèdent dans les provinces environnantes. Serions-nous donc sur le pas d’un nouveau chapitre des relations francophones ? À juger de la rencontre qui s’est terminée en queue de poisson entre François Legault et Doug Ford il y a deux jours, rien n’indique un nouvel enthousiasme. Mais l’espoir, puisqu’il en faut, est toujours permis.
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