Petit mardi matin automnal, encore balayé par les grands vents de la veille — un autre signe de dérèglement, pensez-vous ? — où je cherche, comme tous les mardis matin, « mon sujet ». À vue de nez, ça peut paraître facile, une chronique. Qui n’a pas d’opinions ? Qui n’aime pas les donner ? Mais trouver le sujet qui porte, trouver surtout l’angle qui n’a pas été maintes fois discuté, et bien le raconter, envoyer une flèche dans le coeur de ses concitoyens, c’est du sport, croyez-moi. Durs, durs, les petits matins de chronique où j’ai l’impression d’avoir fait le tour de mon jardin : les femmes, l’environnement, la gauche, Donald Trump, les dernières élections… Où il me manque, en d’autres mots, une histoire toute chaude à raconter.
Je remercie donc Dominic Champagne et son one man show, présenté une seule fois, sur les planches du Théâtre d’Aujourd’hui lundi soir dernier, de me fournir celle-ci. Je le remercie surtout d’avoir mis le doigt sur le temps qu’il fait dehors. Je ne parle pas ici de météo, bien qu’il en sera question durant ce monologue-fleuve de près de deux heures, mais plutôt de cet espace intellectuellement gris, cette époque de transition, incertaine et sans saveur particulière, dans laquelle, après ces dernières élections surtout, nous sommes plongés tête première. Plus vraiment souverainistes, mais pas fédéralistes non plus. Pas vraiment à droite, mais toujours hésitants de s’aventurer à gauche, la tendance étant désormais à la surimposition d’idées, comme jadis les jupons ou les vêtements punks. Qui a dit que le carreauté et les petits pois sont mal assortis ? Aujourd’hui, on est « à gauche pour l’éducation » et à droite pour l’économie, comme dit François Legault à son sujet. Emmanuel Macron, un autre qui affectionne le grand écart, est une inspiration à ce chapitre. Le Parti québécois sans doute aussi. Aujourd’hui, les contradictions ne tuent pas ; elles rendent les candidats plus humains, c’est tout. Certains diraient plus « magasinables ».
Cette période d’incertitude, Dominic Champagne avait commencé à la décrire dans un précédent spectacle, Tout ça m’assassine (2011). « Nous sommes pris entre un passé mort qui n’arrive pas tout à fait à mourir et un futur naissant qui n’arrive pas tout à fait à naître », phrase massue qu’il reprendra d’entrée de jeu, lundi soir, sur la scène du TDA. Bref, on ne sait pas de quel côté souffle le vent. Il nous manque une direction claire comme celle, inaliénable et exemplaire, des bébés tortues qui, à peine sortis de leur nid, savent instinctivement que c’est vers la mer qu’il faut aller.
Dans ce spectacle-ci, Champagne, qui, de son propre aveu, a fait « rouler beaucoup de ballons sur son nez », a côtoyé tant les Beatles que Jean Lemire, André Desmarais que Julien Poulin et René Richard Cyr, pousse la réflexion plus loin. « Il nous manque une histoire à nous raconter », dit-il. Selon lui, l’échec du projet de pays du PQ comme la paralysie du mouvement étudiant après 2012 s’expliquent justement par l’impossibilité d’inscrire ces aspirations dans une histoire plus large. Une histoire qui pourrait nous porter et nous faire rêver.
Quelle pourrait être cette histoire qui nous ferait sortir de nos bulles et relever enfin le menton ? L’environnement, plaide l’auteur, metteur en scène et « écoterroriste » à ses heures. Un sujet qui ne titille pas les masses, c’est sûr, qui brille toujours par son absence dans le programme de notre nouveau gouvernement « de patrons », mais qui, de par son urgence planétaire, sa priorité absolue, s’impose comme une tonne de briques. C’est le seul sujet à l’heure actuelle où il n’y a pas de revenez-y possible, où la marche à suivre est claire et nette. La mer, c’est par là. Une fois la transition énergétique entamée, le pétrole, le plastique et la surconsommation abandonnée, cela dit. Le succès électoral de Québec solidaire repose, d’ailleurs, précisément sur cette « part de rêve » que le parti a su faire miroiter en misant notamment sur l’environnement et la réinvention collective qu’une telle mission exige.
Intitulé J’aime Christine Beaulieu en hommage à l’auteure et comédienne qui, la première, a conjugué amour et politique dans son inoubliable J’aime Hydro, le spectacle de Dominic Champagne n’est pas lui non plus sans amour. Loin de là. Toute grande histoire est une histoire d’amour, dit-il. Celle qu’on inventera devra nécessairement avoir la fougue, la foi et l’ambition qui caractérisent deux jeunes amants. Pour l’instant, nos deux amoureux sont assis pétrifiés sur un banc. Les yeux dans les yeux, ils sont incapables de se toucher, terrifiés par l’inconnu et leur propre « manque d’imagination ».
Ah, mais le printemps s’en vient, prévient notre prestidigitateur d’un soir. Le dégel est dans l’air.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire