N’en déplaise à la Société Saint-Jean Baptiste, le débat en anglais mardi soir était tout à l’honneur des quatre chefs, en commençant par Manon Massé pour qui, visiblement, c’était le chemin de croix.
Il fallait acquiescer à la demande pour deux raisons. D’abord, parce que les anglophones sont ici depuis fort longtemps et qu’il faut bien admettre, malgré nos vieilles divisions et nos vieilles solitudes, qu’ils ont leur place ici. Mieux, qu’ils sont bienvenus ici. Ensuite, parce que la question d’intégration, dont il est beaucoup question dans cette campagne, commence avec les dénommés Anglos. On a tendance à l’oublier. La communauté anglophone constitue aujourd’hui l’alpha et l’oméga de notre capacité d’accueil. Si nous ne pouvons tendre la main aux anglophones du Québec, comment pensons-nous pouvoir le faire avec des citoyens issus de l’immigration ?
Prétendre que les anglophones du Québec ne devraient pas avoir droit à un débat parce que les minorités francophones hors Québec n’ont pas cet avantage est tout simplement mesquin. Cette politique de bas étage illustre bien pourquoi une majorité de jeunes gens roulent de la paupière devant ce genre de nationalisme frileux. En optant plutôt pour un geste de bonne volonté, les leaders ont non seulement fait preuve de largeur d’esprit, ils ont enfin mis en application ce terme galvaudé parmi tous, le « vivre-ensemble ». À la télé anglaise mardi soir dernier, ce fameux vivre-ensemble trouvait enfin un peu de sens.
L’idée qu’un débat en anglais envoie un bien mauvais message aux immigrants est tout aussi farfelue. Tous les grands leaders québécois ont démontré, depuis 50 ans, l’importance de parler la langue du continent. N’était-ce pas Jacques Parizeau qui voulait « botter le derrière » de quiconque ne parlait pas anglais ? S’adresser aux quelque 800 000 anglophones dans leur langue n’envoie pas un message de bilinguisation à outrance, mais simplement un message de démocratie. De plus, personne à l’écoute de ce débat n’aurait pu se méprendre sur la langue que parlent les chefs à la maison ou au travail. Leur insistance sur le français comme langue commune, pour ne rien dire de leurs plus ou moins gros accents (même Jean-François Lisée en a un), ne laissait aucun doute sur leurs propres priorités linguistiques.
Finalement, ce débat est bienvenu parce qu’il permettait de remettre les pendules à l’heure pour ce qui est des relations entre la majorité et la minorité. Comme les francophones, les anglophones ont également beaucoup changé depuis la Révolution tranquille. Ils ne détiennent plus les cordons de la bourse, ne sont plus propriétaires du Golden Square Mile et ne clament plus « Speak white ». René Lévesque serait sans doute d’accord pour dire que les « Rhodésiens », ceux qui n’auraient jamais toléré une perte de privilèges, ont décampé depuis longtemps. La partie de la communauté qui est demeurée, malgré un tout autre contrat social, l’a fait pour une raison primordiale : parce que le Québec, c’est « chez eux ». C’est aussi quelque chose qui est mal compris à l’heure actuelle.
Beaucoup d’anglophones n’ont aucune envie d’échanger Montréal pour Toronto, Vancouver ou même New York, même si on y parle anglais et que les occasions de travail abondent. Il n’y a pas seulement des raisons familiales qui retiennent ces Anglos tricotés serrés. C’est aussi une question de richesse culturelle, d’ambiance, de qualité de vie. Même la politique est plus intéressante au Québec qu’ailleurs au Canada. Beaucoup d’anglophones sont avares de ce milieu de vie bien québécois qu’ils considèrent aussi le leur.
Je n’ai d’ailleurs jamais oublié un sondage mené par le magazine L’actualité, il y a déjà plusieurs années, cherchant à établir les caractéristiques fondamentales des francophones et des anglophones. Les Anglos québécois avaient ceci de particulier qu’ils cumulaient beaucoup des traits dits anglo-saxons — faire des dons de charité, attendre le feu vert, emprunter (et remettre) des livres à la bibliothèque —, mais également des traits généralement associés aux francophones : les plaisirs gastronomiques, le sens de la fête et la conscience politique plus aiguisée. Le meilleur des deux mondes, quoi.
Tout est donc encore possible. S’il est vrai qu’il faut améliorer les cours de français auprès des jeunes anglophones et insister pour qu’ils parlent la langue de Molière encore mieux et plus souvent qu’ils ne le font déjà, s’il est vrai qu’il y a beaucoup de ponts encore à bâtir entre nos deux communautés, la cohabitation Anglos-Francos nous fournit un extraordinaire modèle pour la suite des choses. Il faudrait s’en inspirer plutôt que continuellement le déplorer.
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