À la veille de plonger tête première dans la 42e élection générale du Québec, il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Si l’on se compare avec nos voisins américains, où chaque semaine apporte son lot d’outrecuidances présidentielles, d’espions russes, de prostituées et/ou de néonazis, c’est le calme plat. La Meute a beau agiter la patte de temps à autre, c’est de la bière tablette en comparaison de la fermentation de Unite the Right qui, depuis Charlottesville, fait trembler l’Amérique.
La manifestation à Washington en fin de semaine a été, c’est vrai, immensément plus timide qu’il y a un an. Mais il ne faudrait pas se fier uniquement aux apparences. Si une partie importante de l’extrême droite s’est réfugiée, à la suite du spectacle horrifiant de l’année dernière, dans l’anonymat du Web, « le mouvement qui a tué Heather Heyer ne fait que commencer », écrit l’auteur de Everything You Love Will Burn, Vegas Tenold.
Selon ce journaliste, le but de « l’alt-right » n’est pas d’abord de prendre la rue, mais plutôt, encouragé par le président lui-même, de « réintroduire des idées politiques qui depuis longtemps ont été reléguées à la marge ». Tenold donne comme exemples plusieurs candidats républicains aux élections de mi-mandat qui distillent une idéologie ouvertement raciste, sans parler de l’animatrice de Fox News Laura Ingraham, qui déplorait en ondes récemment que l’immigration ait transformé, en mal, « l’Amérique que nous aimons ». Il y aurait donc une pente savonneuse entre les suprémacistes blancs de Charlottesville et une (petite) partie de l’establishment politique et médiatique qui aurait été impensable il y a encore un an.
Et la Belle Province ? Là où l’autodérision est maintenant une arme politique et où la querelle de l’heure repose sur un malentendu entre deux factions de gauche, la militante et l’artistique ? On peut aimer ou non ce qui s’est passé autour des spectacles SLĀV et Kanata, mais on est ici à des années-lumière de Charlottesville… On est loin également de l’autoritarisme et de la grossièreté d’un Donald Trump ou, encore, des vagues populistes d’extrême droite qui plombent bon nombre de pays européens.
Nous avons notre propre nationalisme frileux, bien sûr. Je ne cherche aucunement à minimiser le courant identitaire qui, ici aussi, voudrait revenir à des temps plus simples, plus conformistes et plus uniformes. Au Québec, nous vivons comme ailleurs une conjoncture politique de plus en plus à droite. Ici aussi une gauche de plus en plus délavée (le PQ, pour ne pas le nommer) a ouvert la voie aux politiques néolibérales, aux premiers ministres « de l’Économie », sans beaucoup d’égard pour l’environnement, la culture ou la misère humaine.
Cela dit, François Legault n’est pas et ne sera jamais Donald Trump. Ou Marine Le Pen, ou encore Viktor Orbán, le leader hongrois qui est passé de la gauche à la droite, lui aussi. Les libéraux ont beau vouloir en faire un épouvantail, le caquiste en chef ne fait tout simplement pas peur. Sa personnalité de « bon gars », mais aussi son passé social-démocrate, lui confère une aura inodore et inoffensive.
Ce qui fait peur — ou, du moins, ce qui personnellement m’interloque — c’est l’espèce de pâté chinois que forment actuellement nos partis politiques. À preuve, les Marguerite Blais, Vincent Caron et Svetlana Solomykina, anciennement du PLQ, gonflant aujourd’hui les rangs de la CAQ et, surtout, tous ces anciens péquistes, et pas les moindres : l’ex-député de Montmorency Jean-François Simard, l’ex-attachée de presse de Jacques Parizeau et de Louise Harel Christine Mitton, l’ex-bras droit de Bernard Drainville Manuel Dionne, « l’indépendantiste de toujours » Stéphane Gobeil, et j’en passe. Outre l’opportunisme criant de vouloir sauter dans un train en marche, n’y a-t-il donc pas de lignes de parti qui tiennent ?
Bon, d’accord, c’est blanc bonnet ou bonnet blanc entre le PLQ et la CAQ, mais tous ces péquistes ? Faut-il y voir un autre signe de la déconfiture profonde du PQ ? Ou plutôt une dépolitisation générale de la collectivité ? Car si, comme nous le disent des sondages, des votes se promènent même entre la CAQ et Québec solidaire, c’est qu’on est nombreux à ne plus savoir à quel saint se vouer, ni même ce que les saints représentent.
À 46 jours du prochain rendez-vous avec l’Histoire, consolons-nous donc à l’idée de ne pas être aux prises avec les guerres culturelles intestines de nos voisins. Mais déplorons, du même chef, cette grisaille politique où une chatte ne retrouverait pas ses petits.
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