L’immigration est un sujet vieux comme le monde. Depuis la nuit des temps, le flot humain en quête d’une vie meilleure bat la mesure de l’évolution de l’espèce. Et pourtant, des deux côtés de l’Atlantique, l’immigration est de plus en plus perçue comme une menace.
En 2016, Donald Trump s’est fait élire en promettant de bâtir un mur entre le Mexique et les États-Unis. Aujourd’hui, il titille son électorat en vue des élections de mi-mandat en mettant de nouveaux immigrants, et jusqu’aux enfants, derrière les barreaux. En Europe, l’animosité grandissante vis-à-vis de l’immigration a nourri la flamme du Brexit en Angleterre, en plus de donner des munitions aux partis de droite en Hongrie, en Autriche et en Italie.
Ici, au Québec, un dernier sondage révèle que près de la moitié de la population voit l’immigration comme un « grand » ou un « très grand risque », sans parler des mouvements de tendance d’extrême droite, comme la Fédération québécoise de souche, Atalante et La Meute qui en font un cheval de bataille. Le doigt au vent, la Coalition avenir Québec promet, elle, de réduire l’immigration, en plus de soumettre les nouveaux arrivants à un « test de valeurs québécoises ».
Pourtant, malgré les histoires tragiques relayées par les médias et les discours enflammés de politiciens cherchant à se faire élire, rien n’indique une véritable crise migratoire. Selon un dirigeant de l’Organisation internationale pour les migrants, William Lacy Swing, « la très grande majorité de l’immigration se déroule de façon normale, sécuritaire et ordonnée ».
Oui, au moment d'écrire ces lignes, un autre navire rempli de migrants erre toujours en Méditerranée après avoir été refoulé par l’Italie. Et, oui, des migrants d’Amérique centrale détenus au Texas sont toujours sans nouvelles de leurs enfants. Ces histoires crève-coeur, comme celle des réfugiés reconduits sans eau ni nourriture dans le désert par les autorités algériennes, indiquent bien davantage une « crise politique », précise M. Lacy Swing, qu’un problème migratoire hors norme.
En fait, un rapport de l’OCDE publié la semaine dernière démontre un flux migratoire en baisse. Aux États-Unis, le nombre n’est plus que le tiers de ce qu’il était sous Ronald Reagan, Bill Clinton ou George W. Bush. En Europe, le nombre de migrants, qui atteignait 100 000 ou plus par mois en 2015, se chiffre aujourd’hui entre 4000 et 10 000 par mois, soit sensiblement le même taux qu’il y a 10 ans. « Une situation toujours potentiellement mortelle, écrit Doug Saunders du Globe and Mail, mais qui met en cause bien davantage les politiques européennes qu’une crise comme telle. »
Il y a donc la réalité migratoire, d’une part, et la perception presque toujours tordue de cette réalité, de l’autre. Partout, d’abord, on surestime la présence des immigrants, allant souvent jusqu’à les considérer comme deux fois plus nombreux qu’ils le sont vraiment. À l’instar de Donald Trump, qui aime dépeindre les nouveaux arrivants comme des violeurs et des trafiquants de drogue, beaucoup redoutent aussi une hausse de la criminalité associée à l’immigration. Pourtant, c’est précisément le contraire. Aux États-Unis, les immigrants, y compris illégaux, ont un taux d’incarcération trois fois moins élevé que les citoyens de souche. En Allemagne, malgré l’arrivée d’un million de migrants depuis 2015, la criminalité est à son plus bas depuis les années 1980.
Au Québec, qui partage avec le Canada une vision généralement plus positive de l’immigration, c’est moins le vol à l’étalage que le vol de la langue qui est redouté. On a surtout peur du désintérêt des immigrants vis-à-vis de la culture québécoise. Pourtant, ici aussi, les faits contredisent souvent la perception qu’on en a. S’il est vrai que 20 % des nouveaux arrivants parlent peu ou pas français, la très grande majorité d’entre eux sont hautement « francisables » puisqu’il s’agit de ressortissants dont la langue maternelle (espagnol, arabe, italien, créole…) converge facilement avec le français.
Comme pour les réfugiés en mer ou à la frontière du Texas, le problème ici est plus politique. L’abandon des centres d’orientation et de formation des immigrants par le gouvernement Bouchard en 2000, déficit zéro oblige, et l’administration parfaitement chaotique, selon la vérificatrice générale, de l’actuel programme de francisation sont responsables d’une bonne partie des ratés. Il faut revoir la façon de faire au plus vite, mais sans oublier que les immigrants donnent « plus en impôts et en cotisations sociales qu’ils ne reçoivent en prestations ».
Sans oublier, en d’autres mots, la richesse démographique, économique et culturelle que représentent ceux qu’on a trop longtemps appelés « les étranges ».
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