La famille royale a rarement été aussi épiée, applaudie ou admirée que depuis qu’elle compte dans ses rangs une princesse sortie tout droit d’un conte de Disney, cette splendeur de femme métissée, fière de ses origines comme d’ailleurs de son féminisme, Meghan Markle, la désormais duchesse de Sussex. Ça nous change du temps où les princesses se couchaient sur un petit pois afin de prouver leur pedigree, leur peau de lait, leur talent inné à détecter le moindre corps étranger, des femmes à conserver sous cloche de verre, de préférence, ou, mieux, dans un donjon.
Les temps changent et, nonobstant les chapeaux d’Élisabeth II, la monarchie aussi. Et puis, disons-le, tant qu’à épouser le protocole, la porcelaine anglaise et les bonnes oeuvres pour toujours, aussi bien le faire pendue au bras du bad boy of the bunch, le prince Harry. « J’ai terriblement hâte de passer le reste de mes jours avec toi », lui aurait déclaré le coquin, le soir des noces. Comment résister à une telle histoire d’amour, à ce qui a toutes les allures d’un véritable conte de fées ?
La monarchie ne sert plus à grand-chose de nos jours, si ce n’est à fournir de belles parades ou de formidables histoires de couples. (Le prince Charles et son ineffable Camilla… c’était pas mal non plus.) L’idée d’une certaine noblesse également. Pas celle reliée à l’aristocratie, encore moins à l’impérialisme, mais plutôt celle qui se rattache à la notion de dignité et de beaux sentiments comme preuves indubitables d’une caste à part. Certains possèdent ce comportement princier d’instinct (Barack Obama, par exemple) alors que d’autres sont relégués au statut de voyous toute leur vie (en l’occurrence, Donald Trump).
Tout le monde rêve de se voir beau, et fier, et heureux comme Meghan et Harry. Mais, bon.
Qu’en sera-t-il dans 5, 10 ou 20 ans ? Quand les caméras et les touristes ne seront pas toujours au rendez-vous et la vie conjugale, plus du tout aussi palpitante? Harry marchera-t-il alors le dos courbé, deux mètres devant sa douce, comme le fait immanquablement la reine devant le prince Philip ? Protocole oblige. (Le dos courbé, c’est selon.) Lui montrera-t-il encore de l’affection ? L’effusion n’étant pas très prisée au sein de la famille royale, pas plus d’ailleurs que de manger de l’ail.
Et Meghan, elle ? Le courage qu’il lui a fallu pour tout balancer, son pays, sa carrière, son vieux chien et bien sûr sa précieuse liberté… reviendra-t-il un jour la hanter ? Comment une femme qui, dès l’âge de 11 ans, dénonçait la publicité sexiste d’une marque de savon s’accommodera-t-elle de tout ce qu’elle ne pourra ni dire ni faire ? Sachez qu’à partir de maintenant la duchesse n’a plus le droit de voter ou d’exprimer d’opinions politiques, de sortir seule, de croiser les jambes au genou (du moins, en public), de signer des autographes ou de prendre des selfies, ou encore de se coucher avant la reine lorsqu’en présence de Sa Majesté. La liste des interdits est évidemment plus vaste encore.
Comme devant Alexandre Taillefer qui rêve tout à coup de prendre la tête du château libéral, on a envie de dire : êtes-vous bien sûr ?…
L’ironie, en ce qui concerne Meghan, c’est que le vent d’ouverture que sa présence insuffle à la royauté comporte pour elle un coût terriblement élevé. En forçant la monarchie britannique à moins de snobisme et d’exclusion, Meghan — comme sa belle-soeur Kate Middleton, femme de William et simple roturière elle aussi — se retrouve, par le fait même, avec beaucoup moins de liberté, d’autonomie et d’indépendance à elle. L’exact contraire de ce que veut le féminisme, faut-il le souligner.
Petite anecdote à propos : dans les années 1980, le souhait féminin par excellence, celui murmuré la première fois par Blanche-Neige en 1937, « un jour, mon prince viendra », avait été reformulé au sein du mouvement des femmes pour dire : « Mon prince, un jour viendra… » Question de signifier qu’à partir de maintenant, une femme n’avait plus à attendre la main de Dieu, la cuisse de Jupiter ou une autre présence masculine, fût-elle princière, pour enfin devenir quelqu’un.
Alors, souhaitons-lui bonne chance ? Souhaitons-lui, malgré les courbettes et les formules obligées, malgré la cage dorée, de toujours croire en la liberté.
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