Tout un choc, quand même. Nous arrivons bons derniers en ce qui concerne les diplômes d’études secondaires, dit une récente étude de l’Institut du Québec. Derrière l’Ontario, on veut bien, on a l’habitude, mais le Nouveau-Brunswick ? Les Territoires du Nord-Ouest ? Le problème n’est donc pas seulement financier, ni seulement celui des garçons non plus. Le Québec n’aurait que des filles au secondaire que nous traînerions toujours derrière : l’écart pour les diplômes entre les adolescentes de l’Ontario et celles du Québec était de 16 % aux dernières nouvelles.
Il y a donc une question plus large, une question qui, contrairement à celle des garçons, n’a pas encore été beaucoup discutée, d’autant plus qu’elle ne cadre pas avec la « démocratisation du savoir » dont nous sommes par ailleurs et à juste titre très fiers.
Le Québec fête cette année 50 ans d’un réseau éducatif unique en Amérique du Nord, le réseau des cégeps, 66 au total, en plus des 10 universités du Québec. Le fait d’avoir tapissé la province d’établissements postsecondaires explique pourquoi c’est ici qu’on compte le plus de diplômés universitaires à travers le pays. En matière d’éducation, il n’y a donc pas que de mauvaises nouvelles. Si on parle aujourd’hui du Canada comme d’une « superpuissance en éducation », c’est beaucoup grâce à cette donnée on ne peut plus québécoise.
Le Québec est aussi responsable de 1 % des publications scientifiques dans le monde, une quantité énorme par rapport à son poids démographique, et atteint des sommets en maths en 1re et 2e secondaire. À noter que ces derniers exploits sont surtout dus au sexe masculin, vu le nombre toujours famélique de femmes dans le domaine des sciences pures. Donc, tout n’est pas noir côté cour non plus. En d’autres mots, en matière de réussite scolaire, qu’il s’agisse des garçons ou de la province en général, le parcours du Québec est en dents de scie : d’un côté, on touche le firmament, de l’autre, les bas-fonds. À mon avis, il s’agit des deux côtés de la même médaille.
La réussite scolaire s’explique de deux façons, en règle générale : parce que c’est « de famille » ou parce que la survie du groupe culturel auquel vous appartenez en dépend. Il faut une certaine prédisposition pour aimer l’école, en d’autres mots. Soit parce que vous êtes tombé dedans étant petit et, donc, peu importe votre sexe, la lecture, la joie d’apprendre est aussi naturelle que celle de jouer. Soit parce que vous avez intégré l’idée que les études sont la seule façon de contrer votre marginalité culturelle ou socioéconomique. C’est la raison pour laquelle les immigrants, les Franco-Ontariens ou encore les anglophones du Québec réussissent très bien. C’est aussi pourquoi les filles pètent aujourd’hui des scores : elles ont besoin de cet avantage pour contrer le désavantage d’être fille. Ce n’est pas seulement parce qu’elles sont sages comme des images.
De la même façon, ce n’est pas d’abord leur incessant besoin de bouger qui coule les garçons. C’est une certaine indifférence vis-à-vis de l’école qui vient en grande partie du fait qu’ils ne sont pas convaincus qu’ils en ont besoin. Or, cette même indifférence se retrouve, et c’est tout aussi inquiétant, dans une certaine partie de la population francophone. Les sondages menés annuellement pour le compte de la Fédération des cégeps révèlent, dit son président, Bernard Tremblay, que de « 20 à 30 % de gens ne se sentent pas concernés par l’éducation postsecondaire ».
Pourtant, s’il y a un peuple qui craint pour sa survie, ce sont bien les Québécois. Pourquoi alors autant de francophones ne conçoivent-ils pas, à l’instar d’autres groupes vulnérables, l’éducation comme une bouée de sauvetage ? Serait-ce que les progrès d’après la Révolution tranquille, dont on vante sans cesse les mérites, le fameux Québec Inc., nous aveuglent face à une certaine carence intellectuelle ? Bernard Tremblay, lui, pense que l’industrie de la construction, une chasse gardée pour Québécois de souche sans beaucoup d’éducation, a pu servir de miroir aux alouettes pour bon nombre de jeunes hommes. « Il y a tout un secteur de l’économie qui a continué à prospérer sans l’apport d’études poussées », dit-il.
La tendance au Québec de se voir comme un petit village gaulois bien organisé, autosuffisant, unique au monde, expliquerait-elle, maintenant, l’indifférence plus large à l’égard de l’éducation ? Nous vivons ici comme dans une bulle, très souvent, bercés par l’illusion que nous avons vaincu l’obscurantisme, la fameuse Grande Noirceur. À tant se féliciter de ce qui a été accompli, a-t-on fini par ne plus voir le reste ?
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