Plus les détails filtrent à propos d’Alexandre Bissonnette, plus on constate qu’il s’agit de la réincarnation de Marc Lépine des décennies plus tard. Comme son infâme prédécesseur, de qui Bissonnette s’est apparemment inspiré avant d’exécuter son crime, l’homme responsable de la tuerie à la mosquée de Québec répond lui aussi au portrait « type » du tueur de masse.
Il est jeune, mâle, de race blanche et de classe moyenne, un loup solitaire nourrissant à la fois une fascination pour les armes et de profondes rancunes envers la société. Son geste ne tient pas à un coup de tête, à une folie passagère, mais a été au contraire méticuleusement planifié. « Ce n’est pas vrai que je ne me souviens pas. Je me souviens de tout », dira-t-il plus tard.
Comme d’autres avant lui, Alexandre Bissonnette a voulu abattre au grand jour le plus de gens possible. Les tueurs de masse font toujours leur besogne sur la place publique, souvent en plein jour, puisqu’il s’agit essentiellement du sacrifice humain des temps modernes. Bissonnette a même dit regretter ne pas avoir tué davantage de personnes, question d’assouvir sa soif de reconnaissance, son besoin de célébrité morbide. « Comme un enfant qui renverse le damier quand le jeu le désavantage, dit le psychiatre américain James Knoll[le tueur de masse] cherche à détruire d’autres personnes au nom de ses propres besoins ou désirs inassouvis. »
À l’instar de Marc Lépine, Alexandre Bissonnette s’est également intéressé, avant de passer à l’acte, à des groupes féministes. La confirmation qu’il cherchait, lui aussi, une « cause » pour rehausser son geste meurtrier. Comme Lépine, il fait partie de ces tueurs de masse qui cherchent une mission pour mieux habiller leurs sombres desseins. Une façon d’épingler leurs frustrations sur un aspect social qui mobilise beaucoup d’attention — l’attention que justement ils n’ont pas — et aussi de s’assurer d’une célébrité encore plus grande. « Je cherchais la gloire », admettra l’accusé.
Comme le tueur de l’École polytechnique, Bissonnette a donc opté pour le mobile qui risquait de choquer le plus : abattre des hommes musulmans en pleine prière, dans leur lieu sacré, un symbole tout aussi puissant en 2017 que celui, en 1989, d’abattre de jeunes étudiantes en génie, longtemps une chasse gardée masculine.
Il ne faut pas confondre les tueurs de masse avec les « tueurs en série », ce que fait Bissonnette lui-même à en juger ses propos. D’abord, les tueurs en série sont très souvent des psychopathes qui oeuvrent tapis dans l’ombre, mus par le plaisir sanguinaire de tuer. Ils ne cherchent ni à attirer l’attention ni à perturber l’ordre social, mais seulement à perpétuer en cachette leurs gestes barbares. Alors que les tueurs de masse cherchent à abattre le plus grand nombre d’un coup — c’est le spectacle qu’ils recherchent et les feux de la rampe qui l’accompagnent —, les Jack l’Éventreur de ce monde ne visent qu’une victime à la fois sans faire de bruit.
La question de la masculinité se pose moins, également, chez ces derniers. Chez les tueurs de masse, des hommes à 96,5 %, le besoin de prouver qu’ils sont de « vrais hommes » est souvent central. Comme l’a démontré Marc Lépine et, dans une moindre mesure Alexandre Bissonnette, on assiste ici à une fabulation machiste poussée à son apothéose. Voici de jeunes hommes qui ont eu besoin de littéralement faire exploser leur masculinité au vu et au su de tous, comme pour mieux s’en convaincre.
Alors qu’il y a moins de tueurs en série aujourd’hui qu’il y a 40 ans, les tueurs de masse se multiplient, notamment aux États-Unis, où le culte des armes à feu, pour ne rien dire de la célébrité coûte que coûte, a propulsé le phénomène à l’avant-scène. Un chercheur britannique qui s’est intéressé à la question croit que la question des armes est en fait secondaire à celle de la culture ambiante d’un pays. Les sociétés « tissées serrées » où les gens sont davantage encadrés et soutenus offrent la meilleure protection de ce type de crime, dit-il, citant la Norvège, la Finlande et Israël, des pays où la possession d’armes est quand même élevée, en exemple.
Et le Québec, lui ? Qu’est-ce qui explique Marc Lépine et Alexandre Bissonnette, pour ne rien dire de Denis Lortie, Kimveer Gill et Richard Henry Bain ? Des hommes qui partagent beaucoup de caractéristiques des tueurs de masse. Il faudra un jour tenter de répondre à la question.
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