Après avoir maintenu le suspense sur la nature de sa réponse à l’accusation, Alexandre Bissonnette a finalement plaidé coupable mercredi dernier, tout en profitant du moment pour envoyer un message : « Malgré ce qui a été dit à mon sujet, je ne suis ni un terroriste ni un islamophobe. Je suis plutôt une personne qui a été emportée par la peur, par la pensée négative et par une sorte de forme horrible de désespoir. »
L’aliénation mentale serait donc ce qu’il faut retenir de cette tuerie insensée, encore une autre, survenue à la mosquée de Québec. Ce qui explique, d’ailleurs, qu’en l’espace de quelques heures, la réponse à l’accusation soit passée de « non coupable » à « coupable ». La culpabilité du jeune homme n’ayant jamais fait de doute, la défense s’apprêtait, du moins est-il permis de le croire, à plaider la « non-responsabilité criminelle » pour cause de troubles mentaux. Le jeune homme aurait retourné sa veste, dit-on, pour éviter aux familles des victimes un douloureux procès. En fait, tout dans ce mea culpa a été pensé pour susciter le maximum de sympathie : le repentir (« je regrette amèrement ce que j’ai fait »), la justification personnelle (« j’avais depuis longtemps des idées suicidaires ») et, finalement, la compassion envers la communauté musulmane (« si au moins, en plaidant coupable, je peux faire un peu de bien… »).
Il est difficile de ne pas être touché par la confession de ce jeune homme manifestement en détresse, par la désolation de sa famille également, mais il ne faudrait surtout pas s’y laisser prendre. Les aveux de l’accusé, bien que compréhensibles d’un point de vue légal, ne rendent service ni à la communauté musulmane ni à la société québécoise.
C’est d’abord une claque au visage des musulmans que de laver ces meurtres de toutes traces d’islamophobie, comme les aveux de Bissonnette tentent de le faire. S’il est clair qu’un homme qui tue froidement d’autres hommes n’est pas tout à fait « normal », il est tout aussi clair que l’homme reconnu coupable s’est nourri des préjugés ambiants. Comme Marc Lépine avant lui, Bissonnette a réfléchi avant de commettre son crime, a décidé qui il voulait tuer et comment il allait le faire. Ce n’est pas par hasard si l’un s’est retrouvé à tirer sur des femmes à l’École polytechnique et l’autre, sur des musulmans à la mosquée de Québec. Chacun à leur manière, ils ont agi comme des conduits d’un malaise sous-jacent de l’époque, signe dans les deux cas de l’incapacité d’accepter l’autre.
Ces meurtres de masse sont presque toujours, rappelons-le, le fait de jeunes hommes blancs en colère, « antisociaux », ceux à qui, traditionnellement, tout a été promis et qui acceptent mal de céder leur place au soleil à des personnes longtemps perçues comme « inférieures ». Lépine n’acceptait pas, il l’a même écrit, que les femmes prennent la place des hommes, et Bissonnette n’a pas mâché ses mots en tirant sur des hommes prostrés dans une mosquée, montrant sa hantise de la confession musulmane. Les deux sont bien sûr des terroristes, mus par la haine, sinon par la religion, décidés à semer la peur et la désolation par un besoin de vengeance, un besoin tordu d’être enfin « reconnu ».
Il ne faudrait surtout pas accepter l’excuse de l’aliénation comme une façon de se dédouaner de ce qui vient de se passer. « On tourne la page », a dit le maire de Québec, Régis Labeaume, soulagé de pouvoir mettre cette tragédie derrière lui. Seulement, la tragédie n’est pas derrière nous, encore moins derrière la communauté musulmane. Le contexte de suspicion et de méfiance envers elle perdure, on le sait, pour ne rien dire des six morts qu’elle a fraîchement en mémoire. Elle a raison d’avoir peur, comme les femmes avaient raison d’avoir peur après Polytechnique, à plus forte raison si la société ambiante s’en lave les mains et refuse de reconnaître ces peurs comme de légitimes angoisses.
J’ai souvent dit qu’il y a eu deux tragédies concernant Polytechnique : le meurtre de 14 jeunes femmes et le déni qui s’ensuivit. On a mis 25 ans, après tout, avant d’admettre communément, du chef de police à la direction de l’École polytechnique en passant par les chroniqueurs médias et les étudiants, qu’il s’agissait bel et bien d’un « crime contre les femmes ». Le Québec, à cause de son histoire, de l’aisance avec laquelle il a vaincu la « Grande Noirceur », affiche, je l’ai déjà écrit, une propension à l’angélisme. Polytechnique a longtemps été l’illustration de ce blanchiment des consciences. Ne laissons pas la tuerie à la mosquée de Québec être une autre instance de ce genre de déresponsabilisation politique.
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