La manifestation anti-Barrette de Québec solidaire aura vite été balayée du revers de la main. Petit « défoulement de gauche », peu fréquenté, de la part d’un parti visiblement en perte de vitesse, a-t-on commenté. Mais on rate ici l’essentiel. La manif de samedi dernier signale, à mon avis, un virage vers un « mouvement politique », un terme qui a d’ailleurs ponctué le discours du co-chef, Gabriel Nadeau Dubois, virage qui se fait aux dépens d’un parti plus traditionnel, disons. Depuis quand, d’ailleurs, un parti politique organise-t-il des manifs ?
Le choix de Manon Massé au débat des chefs va également dans le sens de ce « back to the future » qui s’opère actuellement. Si la majorité des têtes pensantes à QS ont fait leurs armes dans les mouvements sociaux, y compris évidemment GND, personne ne connaît le plancher des vaches, personne n’affectionne la terre battue comme Manon elle-même. En raison de son passé, de sa langue et de son allure dépourvues du moindre fard, la députée de Sainte-Marie est l’incarnation même de la politique exercée « autrement ». Or, on sent une volonté de miser encore davantage sur ce qui a toujours différencié Québec solidaire des autres partis politiques.
Si les sondages étaient restés à la hausse, si on avait réussi à attirer Jean-Martin Aussant et d’autres de sa trempe, ce virage aurait-il lieu ? On peut en douter. Le retour de l’enfant prodigue au PQ a certainement jeté un pavé dans la mare, comme l’a fait le rendez-vous raté avec les péquistes en mai dernier. Il était alors toujours question de « voler le tonnerre », si on peut dire, au Parti québécois, de le supplanter comme parti de centre gauche capable d’exercer le pouvoir d’ici un mandat ou deux. Depuis, on semble avoir compris que la marche est beaucoup plus haute que prévu. Les débuts difficiles de Valérie Plante à la mairie de Montréal n’ont fait qu’exacerber la perception, solidement ancrée depuis 40 ans, que la gauche n’est pas faite pour gouverner, seulement pour élever le débat. (Et Dieu sait que le débat le réclame.)
Laissons Jean-Martin jouer le sauveur, se dit donc QS. Laissons-le rentrer dans les rangs d’oignons de la politique traditionnelle, complet veston et déclamation en poche, pendant que nous continuons de fouetter les troupes, de gonfler le sentiment d’indignation qui percole dans la population. Allons surtout chercher les jeunes, ce qu’un « vieux parti » comme le PQ, même avec JMA et Véronique Hivon, est incapable de faire. Le calcul n’est pas inintéressant et beaucoup moins « marginal » qu’il en a l’air. (Précisons que ce que j’avance ici ne m’a pas été confié dans le cadre d’un documentaire en chantier sur GND, mais moi qui extrapole.)
Le succès phénoménal de Bernie Sanders aux élections américaines, comme celui de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste anglais aujourd’hui, témoigne de cette capacité à « réveiller les masses », les somnolents de 18-34 ans notamment, ceux qui se montraient, à cause de leur jeune âge ou de leur dégoût de la chose politique, parfaitement indifférents jusqu’à maintenant. Leur réussite parle aussi d’un type d’organisation qui mêle l’ancien au moderne, les assemblées de cuisine aux réseaux sociaux. Des choses qu’à QS, on sait très bien faire.
Mais le succès de Sanders et de Corbyn repose surtout sur leur insistance à défendre coûte que coûte un monde plus juste, plus sain et plus égal. Une vision résolument à gauche. Au Québec, il n’y a que QS qui peut prétendre à cette constance, à cette fidélité aux principes, tous les autres partis ayant changé leur veste au gré du vent. Dans un monde en perte de repères et en quête de sens, ce n’est pas rien. On voit d’ailleurs que les gestes qui comptent en ce moment, qu’il s’agisse de jeunes Floridiens en campagne contre les armes à feu (du jamais vu), de l’initiative des maires de grandes villes américaines pour sauver l’environnement ou encore du mouvement de dénonciation des agressions sexuelles #MoiAussi, ce sont tous des initiatives citoyennes. Ce sont des gestes qui clament haut et fort l’impuissance de la politique traditionnelle à s’occuper des vrais problèmes.
Comme l’explique la politicologue Anne-Marie Slaughter, « un nouvel ordre mondial est en train d’émerger, autour, au-dessus et en dessous de l’échiquier politique établi ». Plus difficile à saisir, reposant en grande partie sur des réseaux sociaux, il s’agit d’initiatives qui ont en commun l’urgence de trouver des solutions à l’inaction politique et, j’ajouterais, un sens à la vie citoyenne. Retrouver une direction qui nous honore, regarder, pour une fois, loin devant, « ça ne pourra pas toujours ne pas arriver », pour citer ce grand fouetteur de troupes, Gaston Miron.
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