Pourquoi avoir senti le besoin de répondre à la lettre de Catherine Deneuve ? demandait Michel C. Auger sur les ondes de Radio-Canada cette semaine. Il faisait référence à la campagne #EtMaintenant qui cartonne actuellement sur les réseaux sociaux.
Réponse : parce qu’il n’y a rien de plus insupportable que ceux et celles qui se drapent dans la défense de la liberté au détriment de ceux et celles qui se battent réellement pour y avoir droit. Facile, quand même, de se faire une belle jambe en appelant à la liberté sexuelle et artistique tout en ignorant le plancher des vaches. Les excuses que Catherine Deneuve s’est crue obligée d’offrir aux victimes d’agression sexuelle, après la parution de la lettre, sont certainement une indication de cette insensibilité à ce que vivent trop de femmes.
La lettre des 100 publiée dans Le Monde (mur payant) est la caricature d’une certaine posture intellectuelle française — qui heureusement a été ridiculisée dans l’Hexagone (vidéo) — mais qui a quand même de profondes racines culturelles. Simone de Beauvoir elle-même se plaignait, en 1947, des femmes américaines et de leur « guerre permanente » contre les hommes (en anglais). C’est vous dire. Dans un pays où le « French lover » est une institution au même titre que la haute gastronomie, on se targue depuis longtemps de savoir conjuguer le verbe comme personne d’autre.
La lettre dans Le Monde demandait une réponse peut-être surtout parce qu’en plus de défendre l’indéfendable (les frotteurs dans le métro, vraiment ?), elle démontrait une incompréhension profonde de ce qui passe actuellement. D’abord, cette vague de dénonciations est non seulement d’une envergure exceptionnelle, elle a des répercussions jamais vues. Des hommes puissants ont pour la première fois perdu leurs postes et leurs privilèges. Depuis que les femmes réclament leurs droits, c’est la première fois — la première ! — que les hiérarchies sont réellement ébranlées. La première fois que la parole d’une subalterne fait rouler la tête du patron. C’est une petite révolution en soi.
Cette révolution des moeurs, ce soulèvement sans pareil, on ne le doit pas tant aux agissements du producteur Harvey Weinstein qu’à l’homme à la tête de la Maison-Blanche, Donald Trump. Il ne faudrait pas sous-estimer l’espèce d’asphyxie morale, l’indignation de plus en plus manifeste — on se souvient de la cycliste et de son doigt d’honneur devant la limousine présidentielle — face à un homme qui, en plus d’être grossier et ignorant, est ouvertement raciste et misogyne.
On a compris que Donald Trump serait, non seulement un président hors de l’ordinaire, mais une insulte aux institutions et aux valeurs démocratiques depuis la révélation qu’il faisait « ce qu’il voulait » avec les femmes. À partir du fameux « grab them by the pussy », on avait la vraie mesure de l’homme. L’aveu était à ce point inimaginable qu’on était désormais convaincu que Hillary Clinton l’emporterait. La suffocation morale et intellectuelle dont souffre aujourd’hui une majorité d’Américains, en commençant par les femmes, découle du fait qu’on a non seulement élu malgré tout un hurluberlu qui sème la haine et la division à la tête du pays, mais aussi qu’on a préféré un « prédateur sexuel avoué » à une femme qui méritait bien davantage d’être élue.
Il est peu surprenant, alors, que les premiers gestes de résistance face à Trump se soient traduits par des milliers de femmes dans les rues, le Women’s March on Washington, le 21 janvier 2017. Petits chapeaux roses en formes d’oreilles de « chatte » à l’appui. Le mouvement #MeToo est la suite logique de cette vague d’indignation. Le fait que celui-ci ait ses racines à Hollywood a certainement aidé à lui donner de la visibilité et de la vigueur. Mais la force très particulière du mouvement tient à une situation politique américaine particulièrement révoltante, une qui ne concerne pas seulement les femmes, mais tous les grands acquis des 50 dernières années, pas seulement l’Amérique, mais tout l’Occident, voire le monde.
Si Clinton avait été élue à la place de Trump, il n’y aurait vraisemblablement pas eu de femmes tout en noir aux Golden Globes, pas d’hommes jurant « time’s up » (la récré est terminée), pas de #MeToo et d’effet de domino dans le monde, dont la lettre des Françaises et la riposte des Québécoises. Il y aurait eu de petits moments de révoltes (pensons Bill Cosby, Marcel Aubut, Jian Ghomeshi) mais sans plus, sans profonde remise en question, sans cette dose d’écoeurement qui ne tient pas seulement « aux frotteurs dans le métro », justement, mais à une situation beaucoup plus large appelée mièvrement « la condition des femmes ».
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