Il ne s’agit pas ici de la vieille dame qui compose le 911 seulement pour entendre la voix de quelqu’un. Ce n’est pas d’isolement social que je veux parler aujourd’hui. Sans dénigrer le profond délaissement qui guette les plus âgés et qui incite le gouvernement britannique à y consacrer un ministère, c’est une autre solitude qui, personnellement, me tracasse. Appelons-la la solitude morale, une solitude de l’esprit plutôt que du corps, une aliénation intellectuelle qui nous traque, à tous âges, et qui peut à tout moment vous sauter à la gorge.
Le jour où Donald Trump a été élu, par exemple. Un menteur, un fraudeur fiscal, un présumé agresseur et un incompétent à la tête des États-Unis. Vraiment ? C’est à ce moment que j’ai compris l’énorme fossé qui séparait les utopies collectives des années 1960-1970 des dystopies politiques et écologiques d’aujourd’hui. Il y a tout juste 40 ans, nous vivions de grands soulèvements et de grands espoirs — tout un contraste avec la kleptocratie institutionnalisée du 1 %, le démantèlement des institutions et le massacre de l’environnement d’aujourd’hui. Il y a 40 ans, nous croyions aller vers la lumière, vers un monde grandement amélioré. Comment a-t-on fait pour tomber si bas ?
J’imagine que Jean-François Lisée doit se poser la même question. Vous avez sans doute vu les derniers sondages : 66 sièges pour la CAQ, seulement 13 pour le PQ. On prend ça avec un gros grain de sel, bien entendu. N’empêche. Grand moment de solitude existentielle, là aussi. Sans prétendre pour un instant que François Legault soit l’équivalent de Donald Trump, tant s’en faut, il faut bien reconnaître l’épaisseur du vide qui nous attend. Politiquement, on a beau se dire que nous vivons un nouveau réalignement des plaques tectoniques digne, justement, des années 1960 — un changement de paradigme —, on a le sentiment, comme pour Trump, qu’on voyage dans le sens contraire de l’Histoire. Dur sur le moral, ça aussi.
Plus que tout autre parti politique, le PQ est lié par son histoire singulière, contraint par les espoirs surdimensionnés qu’il a fait naître. Il fut un temps où il nous a tous rendus, souverainistes ou pas, un peu plus fiers d’être Québécois. Encore mieux que le gouvernement de Jean Lesage, le parti de René Lévesque a su redonner confiance dans le système politique. Cette époque est malheureusement révolue. Le rejet, d’abord, de l’option souverainiste, à deux reprises en 15 ans, a sérieusement handicapé le parti. Le PQ a par conséquent une propension à décevoir qui semble désormais innée. C’est à se demander si toutes les entourloupettes qu’il a connues — pour le beau risque, le pétrole, la cause identitaire et leur contraire — ne sont pas dues, au-delà du simple calcul politique, à ce besoin de constamment devoir se refaire une beauté, à constamment devoir faire la preuve de son utilité.
« La maison est prête à tous les sacrifices », disait Jacques Parizeau au moment de s’incliner, lors de la campagne référendaire, devant Lucien Bouchard. Force est de constater que, 50 ans après la création du PQ, la maison a franchement trop fait de compromis. Il aurait fallu au moins remplacer le phare de l’indépendance par autre chose. Au fur et à mesure que la promesse du grand soir s’estompait, il aurait fallu se donner une mission autrement plus inspirante qu’un « ostie de bon gouvernement ».
À l’ère du « business first »
Aujourd’hui, bien que le parti possède un chef avec une poigne intellectuelle redoutable, le premier chef fort depuis le départ de Lucien Bouchard, disposé à s’éclipser à son tour pour mieux conquérir les coeurs, rien n’y fait. On n’y voit malheureusement qu’une entourloupette de plus. Trop d’eau a coulé sous les ponts, trop de coeurs se sont endurcis, pour ne pas dire complètement détournés de la scène politique qui, elle, s’est vidée de sa substantifique moelle.
Comme le démontre l’arrivée de Donald Trump et l’ascension fracassante de la Coalition avenir Québec, pour ne rien dire de l’aplaventrisme devant les grandes entreprises telles Netflix, nous sommes à l’ère du « business first ». À l’exception de l’élection surprise de Valérie Plante en novembre, la classe politique n’est plus là pour relever les mentons, ou faire rêver, mais pour gérer le petit train-train quotidien.
Alors, la solitude ? Ce sentiment de ne plus faire partie de quelque chose de grand, de vrai, de durable ? Cette aliénation-là est immensément plus répandue qu’on le pense. À quand, au fait, un ministère des Rêves brisés ?