Aurait-on, au Québec, l’inconscient collectif plus aiguisé qu’ailleurs ? La capacité de se soulever sans dire un mot, de redresser la tête collectivement sans consulter son voisin, par pur instinct de devoir tourner la page ?
Lundi matin, à l’entrée du Y du Parc de Montréal, les abonnés lève-tôt (comme moi), contrairement à leurs habitudes têtes baissées, bouches cousues, se sont mis spontanément à parler de l’élection de la veille. Le sourire bien accroché. On venait de vivre quelque chose d’exceptionnel et on se devait de le souligner. Par-delà les effluves de chlore et d’espadrille, ça fleurait l’espoir, le sentiment qu’on allait en tout cas vers du mieux.
Ce n’est pas seulement qu’on a élu une femme à la tête de Montréal, pas juste une question de briser le plafond de verre. Kim Campbell au fédéral en 1993 et Pauline Marois au provincial en 2012 ont toutes les deux réussi l’exploit sans par ailleurs créer beaucoup d’émoi. Ce n’est pas tout de pouvoir féminiser la direction, encore faut-il pouvoir la changer, cette direction. Et c’est justement ce que représente l’élection de Valérie Plante et de Projet Montréal.
Bien sûr, tout reste à faire. Mais pour ce qui est d’une élection coup-de-poing, une élection qui nous oblige à reconnaître qu’à partir de maintenant, ce n’est plus tout à fait comme avant, le 5 novembre 2017 passera à l’histoire. Cette élection, d’abord, est une riposte à une autre élection matraque, celle de Donald Trump il y a un an. À la base, les deux scrutins représentent le renversement de l’establishment politique, un changement de paradigme radical, mais dans deux sens absolument opposés. Chez nos voisins, l’humeur était au rétroviseur, à la nostalgie du temps où les « hommes étaient des hommes » et le travail, à l’usine et à la mine. À Montréal, on a plongé plutôt dans l’avenir en remettant les clés à une majorité de femmes, à plus de jeunes aussi, et au type de projets qui les définit le mieux.
L’élection de dimanche est également un clin d’oeil au 15 novembre 1976. Valérie Plante n’est pas René Lévesque, c’est sûr, et Projet Montréal n’est pas le vaste reposoir d’attentes et d’espérance que représentait le Parti québécois dans ces années-là. Ces deux moments « historiques » ont néanmoins plusieurs choses en commun. D’abord, ils ont créé la stupéfaction, sans parler de beaucoup de nervosité dans le monde des affaires. Avant même que Valérie Plante n’apparaisse sur scène pour interpréter sa propre version de l’Ode à la joie, Luc Ferrandez sentait le besoin d’envoyer un signal d’apaisement. « Tout le monde prend un Valium », comme le disait une fameuse caricature de René Lévesque à l’époque. Ensuite, dans un cas comme dans l’autre, c’est l’arrivée en force de la gauche, d’une toute nouvelle proposition — de là, d’ailleurs, la nervosité — à un moment où on croyait devoir se satisfaire du statu quo.
Finalement, de la même façon que le PQ incarnait le rêve du pays, Projet Montréal, avec Valérie Plante à sa tête, c’est le rêve féministe qui s’actualise, le rêve d’un monde meilleur, amélioré et changé. Le féminisme n’a jamais voulu simplement remplacer des hommes par des femmes ; il a toujours impliqué un certain communautarisme, de nouvelles priorités, une autre façon de faire. « Moins de taxes, plus de bienvenue », indiquait une affiche électorale de PM. Or, de la même façon qu’il était possible de ne pas être indépendantiste en 1976 et quand même se sentir porté par le rêve, grandi par toute cette audace, au lendemain des élections municipales, il n’est pas nécessaire d’être une femme pour se sentir propulsé en avant, renforci par le vent de changement, comme en témoignait le sourire radieux d’un homme en shorts et à la tête blanche au Y lundi dernier.
Tout ça est fragile, comme le rappelle l’histoire mouvementée du PQ lui-même. On peut incarner le changement un jour et tout à fait autre chose (le beau risque, le repli identitaire…) le lendemain. Il serait naïf de croire que le retour de la gauche au pouvoir, avec un grand P, a sonné. Trump est là pour nous le rappeler. Mais l’étonnante victoire de Valérie Plante/Projet Montréal démontre que, comme en 1976, les plaques tectoniques bougent. À la voir qui portait à peine sur terre dimanche, on se souvient que rien n’est aussi touchant, ni tout à fait aussi inspirant qu’un vieux rêve qui se réalise devant vos yeux.
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