Championnes des naissances pendant non moins de 300 ans, les femmes du Québec sont sommées de faire leur devoir patriotique à nouveau. Du moins est-ce le souhait exprimé par le chef de la CAQ, François Legault, qui voit dans cette recette éprouvée une façon de préserver ce qu’hier encore on dénommait la nation, le peuple ou encore la culture québécoise, mais qu’aujourd’hui, vu le nombre d’immigrants qui nous entourent, on préfère appeler « l’identité québécoise ».
Comme disaient les mères à leurs filles jadis avant leur nuit de noces : « Ferme les yeux et pense au pont Champlain. » Ou à toute autre icône de l’économie québécoise souffrant d’abandon. Quelle que soit l’époque, ne faut-il pas apporter sa contribution pour la patrie ? Selon M. Legault, toujours, plus nous fabriquerons nos propres petits travailleurs, plus le Québec s’en portera mieux.
Rions-en pour ne pas en pleurer. Penser qu’on peut infléchir la dénatalité, une tendance lourde depuis 40 ans dans tous les pays industrialisés, en mettant un peu d’argent sur la table, relève d’une grande naïveté ou d’un grand cynisme ou des deux. Bien que la CAQ nie vouloir refaire le coup des bébés-bonus de 1989, l’idée ici est la même : tenter de hausser le taux de fécondité au mythique 2,1 enfants par famille, le taux de « remplacement de la population » en bas duquel l’immigration doit nécessairement pallier le dépeuplement qui est le nôtre.
Le problème, c’est que la dernière fois que le Québec a connu ce numéro magique (2,1), nous étions en 1968, l’année de tous les dangers : révoltes étudiantes, création du Parti québécois, culture et contre-culture en délire et envol, surtout, du mouvement de libération des femmes. Il y a un lien direct, en d’autres mots, entre la dénatalité endémique que connaît l’Occident et le fait que les femmes ont massivement changé leur fusil d’épaule, passant de la vie privée, où les lois et la coutume les confinaient, à la vie publique à partir, justement, de la fin des années 1960. C’est le chambardement du siècle pour lequel, et on aimerait que les politiciens se le mettent dans la tête une fois pour toutes, il n’y a pas de revenez-y possible.
Il y a une raison, après tout, pour laquelle aucun pays, même le plus conservateur (les États-Unis) ou le plus doué en politique familiale (la Suède), ne réussit à atteindre le fameux 2,1. Les femmes ont autre chose à faire ! À moins d’avoir une nounou à la maison et les moyens financiers qui vont avec, deux adultes qui font deux gros salaires, il est physiquement impossible de multiplier les grossesses et de mener une carrière en même temps. Pour ne rien dire des divorces qui se multiplient, des jeunes qui boudent le couple et des spermatozoïdes qui fondent à vue d’oeil !
Avant d’atteindre l’inaccessible étoile, de pouvoir compter uniquement sur de belles bedaines pour assurer l’avenir de la nation, il faudrait peut-être envoyer le message que la place des femmes sur le marché du travail est absolument cruciale, pas seulement un ajout intéressant. Il faudrait des CPE gratuits partout, des congés parentaux obligatoires d’un an, des pères prêts à rester à la maison, des règles interdisant la discrimination de femmes enceintes au travail, des autobus, des rues et des restaurants conçus pour les enfants, des couples qui durent, des salaires qui montent et un environnement sans pesticides ou autres poisons susceptibles de s’attaquer à votre système reproducteur. Bref, une vision du monde qui, on s’en doute, n’est pas sur le point de se réaliser.
Bien que le Québec se démarque (du moins, en Amérique du Nord) en matière de conciliation travail-famille, l’arrivée des femmes sur le marché du travail n’a jamais été proprement réfléchie. Une véritable révolution dans les moeurs, elle s’est pourtant réalisée, ici comme ailleurs, largement à l’improviste. La dénatalité qui sévit aujourd’hui découle, entre autres, de ce manque de planification. Mais cette crise de fécondité vient aussi du fait que faire des enfants est, plus que jamais, et bien plus que l’immigration, une affaire délicate et compliquée. Sur le plan individuel, elle tient à ce qu’il y a de plus profond, d’intime et d’aléatoire : l’amour. Sur le plan collectif, elle tient au statut des femmes elles-mêmes. Le temps n’est pas si lointain, faut-il le rappeler, où plus une femme avait des enfants, plus elle était impuissante.
Pour toutes ces raisons, il serait immensément plus sensé de miser sur l’immigration d’abord, et les bébés ensuite.