Harvey Weinstein est l’illustration ultime du danger qui guette toujours les femmes. Partout où l’homme est puissant et la femme, jeune et vulnérable, une rencontre avec le gros méchant loup est quasi assurée. Mais ça, Donald Trump, Jian Ghomeshi, Dominique Strauss-Kahn et combien d’autres nous l’avaient déjà démontré. Pas très surprenant, non plus, le silence que les victimes ont gardé toutes ces années, ni l’omertà qui régnait dans le milieu. Dans un monde qui consiste à exposer la chair fraîche, le merveilleux monde du show-business, à sexualiser le moindre nombril, personne n’a le droit de cracher dans la soupe.
La véritable révélation dans cette histoire est plutôt, si on se fie aux allégations, le côté pervers de l’homme lui-même. Avant l’énormité qu’est Harvey Weinstein, la grossièreté immonde du personnage, avait-on bien saisi la sexualité maladive, le power trippornographique au coeur de ces agressions à répétition ? C’est toute une découverte. Qu’un homme ait une sexualité débridée, comme c’était le cas, dit-on, de John F. Kennedy, qu’il ait envie, comme bien des vedettes du monde culturel ou politique, de se taper tout ce qui bouge pour satisfaire son ego ou sa libido, c’est une chose. Mais qu’un homme — et pas n’importe lequel, le producteur de cinéma le plus influent des trente dernières années — attende son prochain rendez-vous, toujours selon les témoignages, tout nu dans le bain, pourchasse sa jeune collègue autour d’un divan comme un gamin, souligne son pressant besoin sexuel en se masturbant devant elle et aille jusqu’à s’exposer dans un restaurant en dit long sur l’espèce d’abêtissement sexuel dont ces gestes témoignent.On croyait la misère sexuelle disparue avec les années 1960, mais grâce aux Harvey Weinstein, Bill Cosby, Dominique Strauss-Kahn et Roman Polanski de ce monde, voilà qu’elle revient, plus sordide, plus glauque et plus violente que jamais.
Curieusement, Weinstein a tenté de se défendre en invoquant justement la libération sexuelle. « Ah, désolé, dit-il à la jeune mannequin italienne qu’il avait tenté de peloter, j’y suis habitué », invoquant plus tard le fait d’avoir grandi dans les années 1960. Comme si les moeurs libérales de ce moment-là avaient éliminé toute frontière, toute décence et, surtout, toute considération pour sa partenaire.
Si la libération sexuelle a trop souvent fonctionné à sens unique, assouvissant le désir sexuel mâle bien avant celui du sexe opposé, elle a permis — une fois conjuguée à la libération des femmes quelques années plus tard — de sortir la sexualité des boules à mites, de cesser de l’entrevoir comme quelque chose de vaguement, voire de profondément honteux, quelque chose qu’on faisait comme un vol à l’étalage, vite, mal et dans le noir de préférence. Or, Harvey Weinstein, le dieu de Miramax, semble aborder la sexualité précisément de cette façon, de la même manière que les jeunes Ontariens venus au Québec pour se saouler la gueule abordent l’alcool : sans le moindre contrôle, sans la moindre notion de quoi il s’agit, comme un genre de cri primal. C’est laid, mais faut que ça sorte. Bref, en parfait animal.
En 1963, Betty Friedan dénonçait dans un livre désormais célèbre, La femme mystifiée, « le problème qui n’a pas de nom ». Son brûlot levait le voile sur la détresse des femmes captives de leur rôle de ménagère. Et si nous faisions face à un nouveau problème sans nom ? Si la déferlante d’agressions sexuelles subies par les femmes encore aujourd’hui, malgré des décennies de conscientisation et de progrès, reposait, outre le mépris qui perdure à leur égard, sur une certaine sexualité masculine tout croche ?
Comment réconcilier, selon les accusations qui ont été déposées, qu’un dieu du petit écran drogue des femmes pour mieux les tripoter (Bill Cosby), qu’un grand cinéaste viole une petite fille de 13 ans (Roman Polanski), que le directeur du Fonds monétaire international séquestre et agresse sexuellement une femme de chambre, plonge sa main dans le décolleté d’une journaliste venue l’interviewer (Dominique Strauss-Kahn) ? Comme Harvey Weinstein, il y a quelque chose ici qui ne colle pas entre ces comportements délirants, déviants, voire criminels, et le comportement de tous les jours de ces mêmes hommes reconnus pour leur intellect et leur savoir-faire. Il y a carrément quelque chose qui se détraque sur le plan sexuel.
On parle beaucoup actuellement de « masculinité toxique » comme façon d’étiqueter le machisme qui perdure. Mais le vrai danger qui guette les femmes, celui qu’elles risquent de payer plus chèrement encore, réside dans cette sexualité psychopathe, cette masculinité malade à la Harvey Weinstein.
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